Croissance et... croissance de lĠconomie du cannabis en Afrique subsaharienne (1980-2000)
Article publi dans Hrodote, ÇÊGopolitique des drogues illicitesÊÈ, nĦ 112, 1er trimestre 2004
Rsum
La culture du cannabis connat partir des annes 1980 un fort dveloppement en Afrique subsaharienne. Par ses caractristiques agronomiques et conomiques, le cannabis apparat comme un produit performant compensant la crise des matires premires agricoles, la libralisation des filires de culture de rente, ou permettant lĠintgration des rgions enclaves aux circuits marchands. En lien avec le dveloppement de la production, on peut observer la mise en place de nouveaux systmes commerciaux (trafiquants) et la mutation des systmes dj en place. Les marchs de consommation du cannabis africains connaissent paralllement un fort dveloppement partir des annes 1980, stimulant la production. Si les drogues, et en particulier le cannabis, ont souvent t mentionnes dans les conflits arms africains, elles ont galement contribu la stabilit sociale.
La dcennie 1980 marque un tournant dans lĠintgration de lĠAfrique subsaharienne dans lĠconomie des drogues illicites. Terre de passage pour les produits illicites venant des continents asiatique et sud amricain et destination de lĠEurope et de lĠAmrique du Nord, lĠAfrique en devient galement une terre de production, principalement de cannabis, et un march de consommation.
Le dveloppement de la production, du trafic et de la consommation illicites de cannabis sĠy inscrit dans un contexte conomique dgrad. La chute des prix des matires premires et les politiques de libralisation des filires ne touchent pas seulement le secteur agricole qui se met en qute de cultures alternativesÊ: le commerce et le transport ptissent aussi de cette dgradation conomique. A la diffrence des masses paysannes, les Etats et leurs reprsentants ne sont affects quĠen dernier lieu par les consquences de la baisse de la rente agricole. Quant au dgraissage des effectifs de la fonction publique qui est impos par les plans dĠajustement structurel, il fragilise conomiquement les classes moyennes urbaines qui deviennent une cible dĠautant plus dsigne pour les trafiquantsÊ: en tant que consommateurs cherchant sĠadapter la nouvelle ralit, mais aussi comme acteurs du trafic, en tant que transporteurs, vendeurs, ou passeurs.
Le dveloppement de ces activits, qui apparaissent comme des alternatives conomiques pour divers groupes sociaux, ne se fait pas sans consquences politiques. Si les drogues ont souvent t mentionnes pour la place quĠelles ont eu dans certains conflits africains, et ce divers titres, elles ont aussi, dans certaines rgions, contribu maintenir une stabilit sociale.
A partir de la relecture des enqutes menes dans divers pays dĠAfrique de lĠOuest, australe et centrale entre 1993 et 1998 par lĠObservatoire gopolitique des drogues (OGD), lĠarticle propose de dcrypter les mcanismes du dveloppement de lĠconomie du cannabis.
I. Le dveloppement de la production de cannabis et les mutations des flux marchands
La diversit des zones cologiques dans lesquelles la culture de cette plante sĠest dveloppe sur le continent africain montre ses capacits dĠadaptation aux diffrents contextes naturels. Ainsi, sa culture transcende les zones bioclimatiques de lĠAfrique subsaharienne, depuis le Sahel jusquĠ lĠAfrique quatoriale, lĠAfrique de lĠEst et lĠAfrique septentrionale, que ce soit au Mali, au Sngal, en Gambie, en Cte dĠIvoire, au Togo, en Rpublique dmocratique du Congo (RDC), en Afrique du Sud, au LesothoÊ: des latitudes et des altitudes varies donc. Les itinraires techniques et la localisation des terres ddies cette culture varient alors en fonction des situations locales. Le calendrier agricole de la culture du cannabis oscille entre 4 8 mois, des itinraires techniques adapts permettant de le cultiver en association ou en monoculture et facilitant son intgration par les agriculteurs dans des systmes de culture aussi varis que ceux des plantations cacaoyres des zones forestires ivoirienne, ghanenne ou togolaise, des zones marachres des Niayes sngalaises, ou encore des hauts plateaux camerounais producteurs de pomme de terre et de maïs.
Du point de vue agro-conomique, les prix dĠachat offerts ramens au cot local du travail ou la disponibilit de la terre font que le cannabis prsente, du fait de sa prohibition, des avantages comparatifs trs attractifs. En 1995, en Cte dĠIvoire, des tudes montraient quĠun hectare de cannabis rapportait 100 fois plus quĠun hectare de caf et 55 fois plus quĠun hectare de riz et de manioc associsÊ; en Gambie, 100 fois plus quĠun hectare de manioc et 10 fois plus quĠun hectare dĠarachide. La valeur ajoute pour une journe de travail y tait 7,5 fois suprieure pour le cannabis que pour le cacao. En 1997, au Cameroun, un hectare de cannabis procurait un revenu douze fois plus important quĠun hectare mis en culture associe de maïs, haricot et pommes de terre et une journe consacre la culture de cannabis permettait de dgager un revenu 4 26 fois plus important dans le cadre de la culture associe[1].
Les diffrentes tudes menes par lĠOGD[2] auprs des agriculteurs montraient que, durant les annes 1990 et quels que soient les contextes socio-conomiques et naturels, le cannabis tait devenu un produit agricole pivot constituant au minimum 75% des revenus montaires obtenus par les exploitations agricoles engages dans cette activit.
Selon les contextes, la production agricole du cannabis permet de compenser la perte des revenus montaires agricoles (baisse du prix des matires premires) et, ou, les rductions des superficies cultivables (pression foncire, dsertification ou salinisation des sols). Elle reprsente galement un moyen dĠintgration aux nouveaux circuits marchands qui ont merg dans le contexte de la libralisation des filires dĠEtat, et ce dĠautant plus que le cannabis, production illicite, souffre moins que les productions commerciales de lĠloignement des marchs.
Le dveloppement de la production agricole
Une culture de compensation
La culture de cannabis apparat dans deux contextes particuliers comme culture de compensationÊ: dans des rgions fortement orientes vers des cultures de rentes et dans des zones o la dgradation des conditions cologiques ont contribu une rduction des surfaces cultivables. Les deux phnomnes sont parfois concomitants.
Cette expansion de la culture de cannabis durant les dcennies 1980 et 1990 constitue la rponse des agriculteurs africains la dtrioration du contexte gnral de lĠactivit agricole. Dans toutes les rgions agricoles orientes vers les cultures de rente o les tudes ont t menes, le mme schma est apparu. Les cours mondiaux des matires premires ont dĠabord baiss de faon trs importanteÊ: ainsi, en Cte dĠIvoire, entre 1988 et 1992, le prix bord-champ du caf dcortiqu a t divis par 4 et celui du cacao par 2,7. Ensuite, sous lĠinstigation des institutions financires internationale, les filires de commercialisation ont t brusquement libralisesÊ: en 1996, au Togo, les diffrents organismes chargs de lĠappui, de la commercialisation et de lĠexportation du caf et du cacao ont t dmantels. De fait, pour les reprsentants syndicaux des agriculteurs zambiens, la libralisation de la commercialisation du maïs est perue comme la premire cause du dveloppement de la culture du cannabis.
Ces nouvelles conditions fragilisent donc les exploitations agricoles ne disposant plus des prix garantis, de lĠaccs aux intrants chimiques, aux crdits subventionns ou tout autre soutien au dveloppement des cultures auparavant fourni par les organismes tatiques. LĠOffice des produits agricoles du Togo (Opat), par exemple, contribuait ainsi la rnovation des plantations, lĠentretien des pistes, etc. En consquence de cette libralisation les revenus montaires ont baiss alors mme que le prix dĠintrants essentiels tels que fertilisants, produits phytosanitaires et semences augmentait. Ainsi, au Sngal, le prix de ces intrants a augment de 50% la suite de la libralisation de la filire du riz, favorisant lĠapparition de nouveaux modes de commercialisation et de nouveaux oprateurs privs.
Paralllement, lĠouverture des marchs aux importations, en particulier de produits agricoles vivriers, a accentu les difficults rencontres par nombre dĠexploitants agricolesÊ: en 1995, sur les marchs du Sngal, le prix du kilo de riz sngalais tait 25 % plus lev que celui de la brisure de riz importe dĠAsie.
Culture de compensation, le cannabis lĠest aussi dans des contextes de rduction des terres cultivables du fait de phnomnes climatiques ou cologiques adverses (scheresse, salinisation ou forte rosion), mais galement du fait de blocages fonciers enchrissant lĠaccs la terre, en particulier pour les jeunes gnrations. Il en tait ainsi au Togo, au Congo-Brazzaville, en Cte dĠIvoire et en Guine-Conakry sur les fronts forestiers bloqus o, pour les jeunes agriculteurs, lĠaccs la terre est restreint. De fait, la valeur ajoute de la production de cannabis rapporte la superficie cultive est telle quĠelle permet des revenus importants sur des superficies rduites. Cette caractristique permet donc d'accder une activit agricole sans disposer de lĠimportant capital foncier gnralement requis.
En Gambie, la scheresse a entran une salinisation des terres diminuant fortement les terres cultivables. Une agricultrice y racontait que sa production de riz qui couvrait les besoins annuels de sa famille en tait venue ne plus assurer que trois mois de subsistance familiale. Le dficit devait alors tre compens par des achats alimentaires que seuls les revenus garantis par le cannabis permettaient. Au Lesotho enfin, ds le dbut des annes 1980, les ravages de lĠrosion et lĠappauvrissement des terres des zones montagnardes ont provoqu un recours massif la culture de cannabis, plante qui se satisfait mme de sols dgrads.
Une culture dĠintgration
En devenant la culture de rente, le cannabis permet lĠintgration des rgions dont lĠaccs physique aux marchs est limit ou qui ne disposent pas de cultures de rente qui pourraient permettre leur intgration aux circuits marchands.
Par exemple, dans la rgion de Kumbo, sur les hauts plateaux camerounais, la culture de cannabis a t dveloppe pour compenser les difficults de commercialisation propres aux cultures habituelles (haricot, maïs, pomme de terre). LĠisolement par rapport aux marchs rendait en effet la vente de ces produits alatoire. Dans un village situ 14 km de Kumbo, reli par une piste impraticable ou presque en saison des pluies, la venue dĠacheteurs tait contingente. La vente des productions villageoises ne pouvait donc souvent se faire que dans la limite des faibles quantits transportables pied jusquĠau march de Kumbo. Les alas dĠune telle commercialisation compromettaient et lĠcoulement des produits sur le march, et a fortiori le financement rgulier des frais de scolarisation, des dpenses sanitaires ou encore des achats de produits de premire ncessit. Ailleurs, dans la rgion du Bandundu de la Rpublique Dmocratique du Congo, cĠest la dgradation des infrastructures routires qui a accentu lĠisolement des villages par rapport aux marchs, rendant trs difficile la venue des acheteurs de produits alimentaires ou le dplacement des producteurs vers ces marchs. Ces conditions particulires de commercialisation sont alors dĠautant plus favorables au dveloppement de la culture du cannabis puisque, dans le cas de cette production, ce sont les acheteurs qui se dplacent pour acqurir les rcoltes, rompant ainsi lĠisolement des villages ou des rgions concerns et les intgrant de facto dans les circuits marchands.
LĠintroduction de la culture de cannabis dans les systmes de production locaux a pris, selon les rgions, des aspects varis, mme si elle a partout rpondu un besoin dĠalternative conomique ressenti par les agriculteurs. Mais une telle culture a aussi t incite par des rseaux trafiquants prexistants, comme ce fut le cas par exemple en Afrique de lĠOuest sous lĠinfluence de rseaux nigrians et ghanens dj impliqus dans le commerce rgional du cannabis. Son expansion a encore t favorise par ouï-dire, notamment concernant lĠavantage comparatif de sa valeur marchande dans le contexte du dveloppement de son march urbain. Ce dernier mode de transmission sĠest surtout fait dans les pays o le cannabis tait dj prsent petite chelle et utilis comme remde mdicinal (Cameroun, RDC, etc.).
En ce qui concerne la commercialisation, trois dynamiques apparaissentÊ: la mutation de rseaux commerants dj en place (rseaux du cacao ou de lĠarachide) qui intgrent ce nouveau produit dans leurs activitsÊ; la mise en place nouveaux systmes commerciaux (trafic)Ê; lĠimplication accrue des producteurs dans la commercialisation de leur production.
La mutation des circuits marchands
On observe dans certaines rgions de Cte dĠIvoire, du Togo et du Sngal un changement des circuits marchands traditionnels qui voluent du commerce et du transport de matires premires agricoles traditionnelles (cacao, caf, arachide) au trafic de cannabis. La libralisation des filires dĠEtat se traduit par une mutation de ces circuits qui bnficient toujours aux lites politiques dont les intrts dans la commercialisation des cultures de rente ont t prservs. Dans les rgions cacaoyres et cafires de Cte dĠIvoire ou du Togo, une partie du trafic, portant gnralement sur de grandes quantits, est assure sous couvert dĠactivits lgales lies lĠimport-export ou au transport commercial et disposant de dbouchsÊ: socits de transport, grands commerants, socits exportatrices de caf ou de cacao. Au Cameroun, par exemple, les acheteurs de cannabis en gros participent galement du commerce de produits vivriers. Le trafic est donc largement intgr au sein des activits licites et le fret lgal peut ainsi dissimuler les cargaisons de cannabis, des socits dĠexportation cafire ou cacaoyre faisant office de couverture aise. En Afrique de lĠOuest, on peut galement trouver des rseaux de trafic de cannabis qui sont lis aux circuits dĠexportation de la noix de cola. En RDC et au Nigeria, enfin, cĠest dans des grumes destines lĠEurope que lĠherbe de cannabis est frquemment camoufle. DĠune faon gnrale donc, lĠherbe de cannabis va sĠinsrer dans les grands rseaux commerciaux lgaux du continent, mais en utilisant aussi des circuits de contrebande et de commerce informel prexistant.
La ÇÊfilire cannabisÊÈ
DĠautres types de filires ont t mises en place sous lĠimpulsion de rseaux marchands sĠinspirant des conditions quĠoffraient les filires de cultures de rente. Ces rseaux ont ainsi encourag la production de cannabis en constituant des filires organises sur le type de celles qui existaient pour les produits lgaux avant la vague de libralisation. Au Congo Brazzaville et en RDC, ces rseaux offrent des prix garantis, achtent sur pied et fournissent des semences. Dans ces pays, les circuits sont gnralement organiss par des commerants non nationaux et, contrairement ceux des produits lgaux, ils chappent la classe politique nationale, du moins de faon directe.
Afin de disposer dĠune couverture, des trafiquants se sont convertis en commerants de denres alimentaires (RDC), ces dernires servant de camouflage. Les agriculteurs trouvent ainsi des dbouchs pour les autres cultures vivrires, dont les produits sont achemins, en mme temps que le cannabis, sur les marchs urbains par les trafiquants.
Ailleurs, les producteurs de cannabis ne travaillent pas en contrat avec des acheteurs. Ces derniers se rendent de temps autre sur les lieux de production et cherchent acqurir de la marchandise. Les agriculteurs sĠefforcent de vendre au plus offrant. Ils peuvent ainsi choisir les moments les plus opportuns suivant les besoins de leur trsorerie (Gambie, RDC, Sngal, Lesotho). Le cycle agricole court du cannabis permet plusieurs rcoltes annuelles et, si elle a bnfici dĠun bon schage, lĠherbe de cannabis peut se conserver pendant un an. Elle constitue alors une pargne utilisable lorsquĠune dpense devient ncessaire (rentre scolaire, frais mdicaux, investissements dans lĠexploitation agricole, etc.).
Les trafiquants qui viennent acheter sur place contribuent au dsenclavement de rgions isoles ou mal desservies (Cameroun, RDC, Lesotho, Afrique du Sud) et maintiennent ou insrent les agriculteurs dans les circuits marchands. Mais leÊcommerce du cannabis nĠest pas lĠapanage exclusif des grands trafiquants ou commerants dj installs. Il peut galement reprsenter une opportunit pour de nouveaux entrants. CĠest ainsi quĠune multitude de petits circuits se sont mis en place, lĠinitiative de personnes recherchant des alternatives conomiques. Les liens familiaux avec le milieu rural, qui restent souvent trs troits au sein des classes urbaines, permettent lĠorganisation dĠun trafic petite chelle, voire le montage dĠoprations ponctuelles permettant de couvrir des besoins urgents ou imprvus, entre producteurs villageois et rsidents des quartiers urbains.
Stratgies de maximisation des profits
A une plus petite chelle, les producteurs travaillent avec des petits commerants locaux. Mais ils assurent parfois eux-mmes la commercialisation de leur produit, et certains vont jusquĠ lui ajouter de la valeur en transformant le cannabis ÇÊbrutÊÈ en ÇÊproduit finiÊÈ (gamme de sachets de diffrents poids, joints ÇÊpr-roulsÊÈ, etc.) prt tre vendu directement au consommateur. Ces rseaux de proximit, trs prsents dans les campagnes, servent souvent une petite clientle ÇÊdĠamisÊÈ afin de minimiser les risques de dnonciation et de rpression ou, ce qui est souvent la mme chose, de racket de la part de policiers aussi peu scrupuleux que mal pays.
II. La croissance des marchs locaux de consommation
CĠest avant tout la croissance des marchs de consommation locaux, urbains mais aussi ruraux, qui a stimul la production de cannabis en Afrique partir des annes 1980. En effet, mme si elle peut sĠexporter via des circuits internationaux, la trs grande majorit de la production africaine de cannabis est consomme en Afrique mme[3].
Prcisons dĠemble quĠon ne dispose dĠaucune estimation prcise de lĠampleur des marchs africains de consommation du cannabis. Sur ce point comme sur dĠautres, le savoir est encore lacunaire. Reste quĠen regard des rares tudes pidmiologiques disponibles[4] et des enqutes de terrain menes par lĠOGD et dĠautres[5] dans les annes 1990, on peut tout de mme affirmer que lĠAfrique subsaharienne compte, en ce dbut du XXIe sicle, plusieurs dizaines de millions de consommateurs de cannabis. Elle constitue donc un march de consommation important. Ces mmes sources ÇÊde terrainÊÈ laissent en outre penser que ce march grandit depuis le dbut des annes 1980. Cette croissance sĠexplique largement par les effets ngatifs des plans dĠajustement structurel sur les conditions de survie de la majorit de la population africaine, ainsi que par la multiplication des conflits arms sur le continent.
Mme si lĠoption quantitative nous est ferme, on peut mettre au jour les effets stimulants de ces phnomnes sur la filire cannabis africaine en analysant la structure des marchs de consommation au moyen dĠune approche qualitative, de type ethnographique.
LĠapproche qualitative adopte ici vise rvler la structure des marchs de consommation de cannabis par rfrence aux reprsentations sociales qui dterminent lĠusage de cette drogue illicite en Afrique[6]. Elle permet de classifier les consommateurs dĠaprs leurs rponses la questionÊ: ÇÊPourquoi utilisez-vous le cannabisÊ?ÊÈ. On parvient de la sorte tablir une typologie des motifs de consommation tels que rapports par les consommateurs eux-mmes qui, bien que restant trs gnrale, se rvle utile. On peut ainsi distinguer grands traits trois types dominants dĠusage du cannabis en Afrique subsaharienne, qui constituent donc les trois ÇÊsegmentsÊÈ du march de consommation o sĠcoule le gros de la production continentale. Nous ne nous pencherons en quelque dtail que sur un de ces segments, que nous avons baptis ÇÊstratgiqueÊÈ, qui est quantitativement le plus important, celui qui connat la plus forte croissance et dont les implications sont les plus intressantes pour notre problmatique. Nous aborderons brivement les deux autres segments, respectivement ÇÊrcratifÊÈ et ÇÊmagico-thrapeutiqueÊÈ.
Le segment compos des usagers ÇÊrcratifsÊÈ est soutenu par une reprsentation associant les effets du cannabis au plaisir. Il apparat comme plus prvalent en ville quĠen campagne. Le cannabis est ici consomm pour sĠamuser, ÇÊsĠclaterÊÈ lors de moments de dtente, de loisir ou de ftes, principalement par les jeunes des classes aises africaines et expatris (et les touristes), qui reproduisent un mode de consommation vraisemblablement import dĠOccident. En Afrique de lĠOuest, il est lĠobjet dĠune forte rprobation sociale. Toutefois, dans diverses zones rurales le cannabis est considr comme un facilitateur de convivialit et/ou de repos aprs le travail. Cet usage, socialement acceptable, peut encore se faire ouvertement dans certaines rgions dĠAfrique australe. Il est encadr par des normes de contrle anciennes, dont lĠorigine remonte probablement lĠintroduction du cannabis sur le continent africain. DĠaprs lĠhypothse dominante dĠune histoire encore trs lacunaire, ce seraient des marchands arabes qui auraient introduit la plante sur le continent africain, via les comptoirs commerciaux quĠils tablirent sur la ct orientale (Kenya et Tanzanie actuels) ÇÊau plus tard au XIIe sicleÊÈ. Les migrations des Bantous vers le Sud lĠaurait ensuite diffus en Afrique centrale et australe[7].
Les reprsentations ÇÊmagico-thrapeutiquesÊÈ des effets du cannabis, qui dfinissent le deuxime segment, sont anciennes et vraisemblablement issues de lĠacculturation des usages de la plante en Afrique partir des comptoirs arabes dj cits. Cette consommation, surtout prsente en zone rurale, recherche dans le cannabis une grande varit dĠeffets magiques ou thrapeutiques, les deux se confondant souvent dans une aire culturelle o ÇÊmdecineÊÈ et ÇÊmagieÊÈ, voire ÇÊreligionÊÈ, ne sont pas toujours diffrencies. On sait que le ÇÊmonde de lĠinvisibleÊÈ constitue un aspect important, voire central, de la vie sociale, conomique et politique africaine[8], et on ne sĠtonne donc pas quĠune drogue psycho-active aux effets rputs puissants (voir aussi infra) puisse se voir attribuer divers pouvoirs magiques. QuoiquĠil en soit, dans diverses rgions dĠAfrique subsaharienne, le cannabis peut faire lĠobjet dĠune grande diversit dĠusages ÇÊmagico-thrapeutiquesÊÈ. Ainsi, il est employ pour traiter des ÇÊcas de possession par un esprit malfiqueÊÈ, comme chez les Tonga de Zambie, ou encore lors de crmonies funraires, comme au Cameroun. Ailleurs, il est prescrit aux personnes ges souffrant de rhumatismes, utilis pour traiter les yeux et les oreilles, la tension nerveuse, les maux dĠestomac, voire le paludisme, etc. Il a galement des applications vtrinaires (pour les chevaux, les chvres, les poulets, les vaches, selon les cultures), et peut mme servir dĠengrais et de pesticide.
Quant la question de savoir si le cannabis a rellement les vertus thrapeutiques quĠon lui prte en Afrique, nous nous garderons bien dĠy rpondre, malgr son intrt. Elle sĠavre trs complexe et ne recle quĠune importance secondaire dans un expos dont lĠobjectif est dĠidentifier les motifs du recours au cannabis, non dĠvaluer le bien-fond de tels motifs. Il faut souligner quĠtant donn la puissance des pouvoirs attribus au cannabis, de nombreuses socits africaines en codifiaient et rglementaient strictement les usages. En effet, dĠaprs divers informateurs, lĠabus de cannabis peut ÇÊrendre fousÊÈ certains consommateurs, un danger dont les contrles coutumiers cherchent prcisment prmunir la socit (ils nĠy parviennent pas toujours, et un peu partout en Afrique, des personnes sont internes en hpital psychiatrique suite des diagnostics dĠabus cannabiques). Plusieurs fois centenaires, ces contrles coutumiers, et les diverses transgressions auxquelles ils peuvent donner lieu, sont encore en vigueur dans certaines zones rurales, en particulier en Afrique australe. Mais la prohibition ÇÊmoderneÊÈ du cannabis impose par des lois nationales (parfois dĠadoption trs rcente[9]) conformes une lgislation internationale refltant essentiellement des proccupations et intrts occidentaux[10], tend faire disparatre les contrles coutumiers en interdisant tous les usages de la plante. En effet, mme si ces lgislations ne sont pas appliques sur le terrain aussi rigoureusement que leurs concepteurs le voudraient, elles tendent dvaloriser les contrles coutumiers en en criminalisant les acteurs. De plus, au vu des rsultats plus que mitigs de la politique de prohibition rpressive actuellement en vigueur, il est permis de douter que les mcanismes dits ÇÊde contrleÊÈ instaurs par les lgislations modernes sĠavrent plus efficaces que les coutumiers... Malgr la prohibition, le cannabis reste trs disponible et semble-t-il assez largement utilis des fins magico-thrapeutiques en Afrique. Il est vraisemblable que ce segment absorbe une portion de la production continentale de cannabis sans doute lgrement suprieure celle du segment ÇÊrcratifÊÈ.
Le dernier segment du march africain de consommation de cannabis -- le plus important et qui connat une forte croissance -- est soutenu par des reprsentations ÇÊstratgiquesÊÈ des effets de la plante. Les consommateurs ont ici une reprsentation utilitariste du cannabis, dont ils attendent une stimulation, gnralement pour lĠaccomplissement dĠactivits conomiques, cĠest dire lies la survie, et qui impliquent dĠexercer et/ou de subir une violence physique ou symbolique. Le recours au cannabis est ici fortement dtermin par la situation socio-conomique des consommateurs.
Cette reprsentation des effets du cannabis est vraisemblablement ancienne. Il y a fort parier quĠelle trouve son origine dans le monde arabe. Il est donc probable que Borrofica et les auteurs qui lĠont repris se trompent lorsquĠils affirment que le cannabis a t introduit au Ghana et au Nigeria au milieu des annes 1940, la faveur de la Seconde Guerre mondiale, par des soldats enrls dans lĠarme britannique et posts en Inde et en Birmanie[11]. Toutefois, on notera que cet auteur attribue des militaires, dont le mtier consiste exercer et subir des violences, lĠintroduction du cannabis dans ces deux pays. En effet, dĠune manire gnrale, les forces armes sont depuis longtemps rputes en Afrique, et souvent avec raison, pour leur consommation, voire leur trafic, de cannabis.
On dispose de quelques indices permettant dĠassocier cette reprsentation ÇÊstratgiqueÊÈ au monde de lĠinvisible. Alors que dans le sud du Ghana le cannabis est parfois qualifi de ÇÊtabac du diableÊÈ (abonsan tawa), dĠaprs une lgende sngalaise il serait celui des gniesÊ:
ÇÊA une poque qui se perd dans la nuit des temps, o lĠhomme et la bte se parlaient, un chasseur trouva un jour un lion bless la patte sous un tamarinier. Il ne le tua pas, mais le soigna, chassa et lui apporta manger. Les jours passrent, le lion guritÊ: "Tu mĠas sauv la vie, fit-il. En signe de reconnaissance, je vais tĠindiquer lĠherbe qui sert de tabac aux gnies. Si tu es intelligent, elle te rendra plus intelligent encoreÊ; si tu es courageux, elle te rendra plus courageux encoreÊ; si tu es fort, elle te rendra plus fort encore..."Ê[12]È
Intelligence, courage et force, attributs essentiels du chasseur (et du guerrier) -- figure centrale du monde symbolique africain[13], dont la survie dpend de lĠexercice de la violence et lĠexposition au danger Ĉ et ce titre fortement valoriss, sont donc directement associs au cannabis. On note nanmoins que, dĠaprs la lgende, le cannabis ne fait qu'accrotre la puissance de vertus essentielles la survie dont le consommateur doit tre pralablement pourvu. Il doit donc avant tout ÇÊy mettre du sienÊÈ, la drogue nĠayant quĠun effet potentialisateur, magique mais pas trop, si lĠon ose dire.
Ce segment du march de la consommation, tel quĠil se donne voir de nos jours en Afrique, est peupl dĠutilisateurs partis, pour ainsi dire, ÇÊ la chasse lĠargentÊÈ, et qui cherchent accrotre leur courage, leur intelligence et leur force afin de faire face des obligations socio-conomiques. CĠest ce qui ressort des entretiens que nous avons eus avec de tels consommateurs. Ils se recrutent aussi bien en milieu urbain quĠen milieu rural, mais initialement surtout au sein des classes populaires, essentiellement masculines, chez les personnes exerant des mtiers perus comme difficiles parce quĠexigeantÊ: force physique (ouvriers de la construction, mineurs, dockers, pcheurs, livreurs, ouvriers agricoles, etc.)Ê; endurance et/ou de longues veilles (chauffeurs de taxi, de bus, de camion, policiers et militaires en faction de nuit, gardes privs, cireurs de chaussure, vendeurs la sauvette etc.)Ê; courage (notamment pour passer outre un tabou) et/ou ruse (prostitues, voleurs, dealers, autres ÇÊprofessionsÊÈ illicites, mendiants, militaires, policiers, etc.)Ê; et diverses combinaisons de ces attributs. Cette consommation a aussi t repre chez les lves et les tudiants, convaincus que le cannabis augmente les capacits intellectuelles et la mmoire.
Il est plus que vraisemblable que le nombre de ces consommateurs ait fortement augment depuis 1980, anne partir de laquelle lĠAfrique subsaharienne dans son ensemble a t soumise de multiples crises dont lĠune des consquences a t un considrable durcissement des conditions de (sur)vie. Ceci a vraisemblablement provoqu une extension de la consommation ÇÊstratgiqueÊÈ chez les classes moyennes, lamines par les crises et dont les journes de travail se sont allonges. En zones rurales, les crises agricoles dj voques ont accru le recours aux effets ÇÊstratgiquesÊÈ du cannabis. Par exemple, en Cte dĠIvoire, certains producteurs de cacao se sont mis consommer du cannabis (ou des amphtamines) pour compenser par leur propre force de travail la perte dĠune main-dĠÏuvre salarie quĠil ne pouvaient plus payer. Dans les villes, les plans dĠajustement structurel ont entran des baisses de salaire et des augmentations de prix (des aliments et vtements, du logement, des transports, de lĠducation, etc.) rsultant en des pertes brutales de pouvoir dĠachat. Le dgraissage de la fonction publique, qui fournissait autrefois la majorit des emplois salaris dans de nombreux pays, a pouss nombre de fonctionnaires remercis ÇÊse dbrouillerÊÈ dans le secteur informel, o les conditions de travail sont dures (en Europe, on les qualifierait dĠinacceptables) et les revenus maigres et alatoires. Les salaires, pour ceux qui en peroivent encore, sont gnralement si bas quĠil faut souvent les complter par une activit supplmentaire, l encore frquemment dans le secteur informel. Par exemple, au Gabon, on a constat une forte prvalence de la consommation de cannabis parmi les personnels des banques et de lĠadministration.
Le durcissement des conditions de vie de la majorit de la population africaine, coupl lĠexistence de la reprsentation stratgique des effets du cannabis (un argument de vente de poids pour les marchands) a ainsi dop le march de consommation de ce produit. DĠautant que son prix de vente au dtail est relativement bas[14] facilite encore le recours cette drogue illicite. Mme sĠil ne convient sans doute pas de le qualifier de produit de consommation courante, le cannabis est en Afrique loin dĠtre un produit de luxe.
A partir des annes 1990 dans de nombreux pays, un phnomne supplmentaire est venu renforcer la croissance de ce segmentÊ: lĠclatement de conflits arms. Bien quĠil nĠexiste, notre connaissance, aucune tude sur le sujet[15], il fait peu de doute que la consommation de cannabis est extrmement rpandue chez les combattants, dont la plupart sont de jeunes hommes, voire des enfants-soldats utiliss du Sierra Leone la Rpublique Dmocratique du Congo, et de lĠAngola au Libria, en passant par la Cte dĠIvoire, le Congo-Brazzaville, le Tchad, lĠOuganda, le Soudan, etc. CĠest en situation de combat quĠon a le plus besoin dĠintelligence, de courage et de force. Notons au passage que des tmoignages attribuent les atrocits commises lors de ces guerres au fait que leurs auteurs taient sous lĠemprise du cannabis. De surcrot, les conflits rendent plus difficiles encore les conditions de (sur)vie des populations non-combattantes, dont certains membres ont sans doute recours aux effets ÇÊstratgiquesÊÈ autant que ÇÊmagico-thrapeutiquesÊÈ du cannabis. Enfin, les armes rgulires envoyes ici et l en mission de maintien de la paix fournissent un contingent supplmentaire de consommateurs.
III. Les dimensions stratgiques de la production et de la rpressionLĠassociation entre conflits arms et cannabis en Afrique ne relve pas exclusivement du domaine de la consommation. Le recours au cannabis peut en effet avoir des implications ÇÊstratgiquesÊÈ au sens le plus courant du terme.
Dans la mesure o le cannabis est trs largement consomm par les groupes arms aux prises en Afrique, quĠil sert au moins partiellement contrler, il est parfois devenu une denre stratgique dont il faut matriser lĠapprovisionnement. Ainsi, les milices qui sĠaffrontaient au Congo-Brazzaville en 1993-94 puis nouveau en 1997 exeraient un contrle des plantations de cannabis situes sur leurs bases arrires. Les miliciens taient pays en partie en cannabis[16]. Le contrle des zones de production constituait apparemment un enjeu majeur pour lĠentretien des troupes.
Comme cĠest le cas sur dĠautres continents pour dĠautres plantes drogues, production et trafic de cannabis peuvent servir en Afrique subsaharienne financer des mouvements arms. Le conflit casamanais est lĠexemple peut-tre le mieux connu. Des observateurs estiment que les mouvements rebelles ont commenc prlever des taxes sur les ventes de cannabis, produit en grande quantit en Casamance, ds le dbut des annes 1980. Les revenus ainsi dgags, de mme que des oprations de troc armes contre drogues, auraient permis la gurilla casamanaise dĠamliorer son armement[17]. Au Libria, lorsque Charles Taylor perdit le contrle des zones aurifres et diamantifres en 1993, il eut un recours accru au cannabis produit sur les territoires quĠil matrisait encore afin de financer ses oprations militaires[18].
Ce recours au cannabis par des mouvements arms peut tre facilit dans les territoires de conflit et dĠinscurit, car les populations vivent dans une telle prcarit quĠelles prfrent abandonner leurs cultures vivrires traditionnelles de cycles longs au profit de celle du cannabis. Culture de cycle court, ncessitant relativement peu de travail et dĠinvestissement et adaptable une grande diversit de sols, le cannabis peut ainsi procurer des revenus permettant de faire face aux besoins alimentaires qui ne sont plus produits. Un tel phnomne a t document dans la rgion tchadienne du Ouddaï, proche de la frontire soudanaise, au milieu des annes 1990Ê: soumise rgulirement des incursions de bandes armes les paysans ont abandonn la culture du mil pour celle du cannabis[19].
Les gouvernements en place ne se privent pas toujours dĠinstrumentaliser le besoin de rprimer la production dĠune ÇÊdrogue illiciteÊÈ sur un territoire dtermin, souvent grand renfort de publicit, alors mme quĠils prfrent lĠignorer sur un autre (parfois parce que leurs membres en tirent directement profit, plus gnralement parce quĠil constitue un rservoir lectoral ou fournit un soutien politique dĠune autre manire[20]). Ils en appellent alors habituellement la ncessit de combattre le ÇÊflau de la drogueÊÈ et leur devoir envers la ÇÊcommunaut internationaleÊÈ, qui cautionne et participe au financement de ces politiques antidrogue.
Par exemple, ce nĠest quĠ partir de 1995 que les forces armes de lĠtat sngalais ont lanc des oprations en Casamance, officiellement destines lĠradication des cultures de cannabis. Le prtexte de la lutte contre les drogues a permis la reconqute dĠun territoire qui chappait lĠautorit dakaroise. Ds 1996, le gouvernement soudanais lanait des oprations militaires ÇÊantidrogueÊÈ dans les rgions du Darfour et du Bedja, qui sĠavraient tre galement des zones sensibles en terme de rbellion. Khartoum affirmait alors se cantonner mener la politique recommande par le Programme des Nations unies de contrle international des drogues (PNUCID)[21].
Ces oprations sont pour la plupart menes avec une grande brutalit, et se traduisent gnralement par la destruction de quelques rcoltes de cannabis, lorsquĠelles ne changent pas simplement de propritaire... Des paysans sans dfense en sont le plus souvent les principales victimes.
Apprhender lĠconomie du cannabis sur le continent africain, cĠest aborder les problmes de dveloppement, quĠils soient conomiques ou politiques, de ce continent et de sa position dans le monde. Cette dynamique met lĠaccent sur lĠchec de lĠaide au dveloppement, les effets pervers, non mesurs et rarement reconnus, des politiques internationales qui ont t imposes aux pays de lĠAfrique subsaharienne. Elle montre galement leur capacit dĠadaptation rpondre aux exigences de lĠconomie mondiale (avantages comparatifs, libralisation des filires, etc.) Mais ce dveloppement ne peut devenir durable compte tenu de la fragilit de cette conomie illgale et de son rle de dstabilisation conomique (impact production alimentaire) et politique.
Le prsent article donne penser que les drogues contribuent plus prenniser quĠ bouleverser les mcanismes sociaux et conomiques majeurs de lĠAfrique. Si lĠconomie du cannabis peut apparatre comme facteur de stabilit sociale dans les zones rurales, elle peut aussi faciliter les mutations de nombreux secteurs conomiques ainsi que du politique. Dans les rgions o la culture de cannabis sĠest dveloppe, elle est devenue une culture pivot qui, bien quĠelle permette le maintien des exploitations agricoles, les rend fragiles. Fragiles car elles dpendent pour leurs intgrations aux circuits marchands dĠune seule culture, dĠautant plus que les cultures vivrires sont en difficult sur les marchs nationaux en raison de la concurrence internationale.
[1] OGD, Afrique de lĠOuestÊ: tude de la production de drogues et du trafic local, en particulier de la culture du cannabis, OGD/Commission europenne, Paris, dcembre 1995Ê; OGD, tude sur la situation des drogues en Afrique centrale, OGD/Commission europenne, Paris, fvrier 1997Ê; OGD, La situation des drogues en Afrique Australe, OGD/Commission europenne, mars 1998Ê; OGD, Impact socio-conomique de la culture de cannabis en Afrique centrale, OGD/PNUCID, Paris, juin 1998.
[2] Des tudes agro-conomiques auprs des producteurs ont t menes en Gambie, au Sngal, en Guine Conakry, au Togo, en Cte dĠIvoire, au Cameroun, en RDC. Des lments supplmentaires ont t recueillis en Afrique du Sud, au Congo-Brazzaville, au Lesotho, en Zambie, au Malawi, etc.
[3] Laniel, L.Ê: ÇÊO va la production de cannabisÊ?ÊÈ, Les drogues en Afrique subsaharienne, Karthala/UNESCO, Paris, 1998.
[4] Par exempleÊ: Nortey, D. et Senah, K., Epidemiological Study of Drug Abuse among the Youth in Ghana, Accra, UNESCO, 1990Ê; Lesotho Highlands Development Authority, Baseline Epidemiology and Medical Services Survey—Mental Health and Substance Abuse, Final Report, Maseru, 1996.
[5] En particulier lĠenqute mene en 1996 par la LIPILDRO (association de lutte contre les drogues et les toxicomanies base Kinshasa) dans cinq rgions de ce qui tait alors le Zaïre.
[6] Cette approche a t initialement mise en Ïuvre lors dĠune tude de lĠOGD au Ghana en 1995, ses rsultats ont t confirms par les enqutes postrieures de lĠOGD dans dĠautres pays africains. Elle trouve son fondement thorique dans lĠÏuvre du sociologue Howard BeckerÊ: Outsiders (Free Press of Glencoe, New York, 1963), en particulier le chapitre 3 ÇÊComment on devient fumeur de marijuanaÊÈ. Pour plus de dtails, voir Laniel, L.Ê: ÇÊViolencia y marihuana: usos del "tabaco del diablo" en el Ghana contemporàneoÊÈ, Inchaurraga, S. (comp.), Drogas y Drogadependencias, CEAD-SIDA, Rosario, 1997 (version franaise : cliquer ICI).
[7] Du Tot, B.Ê: ÇÊDagga: The History and Ethnographic Setting of Cannabis sativa in Southern AfricaÊÈ, Rubin, V. (ed.), Cannabis and Culture, Mouton, La Haye, 1975, citation p. 84. DĠaprs Du Tot, le premier indice archologique de la prsence du cannabis sur le continent africain est une pipe du XIIIe sicle contenant des graines de cette plante, dcouverte sur le territoire de lĠactuelle thiopie. Des vestiges cannabiques bien plus anciens ont t mis au jour au Moyen-Orient.
[8] Voir notamment Bayart, J-F.Ê: LĠtat en Afrique, Fayard, Paris, 1989.
[9] Au Mozambique, par exemple, lĠusage du cannabis tait lgal jusquĠen 1998Ê; voir Laniel, L., Le ÇÊSommet de la drogueÊÈ, New York 8-10 juin 1998, UNESCO, Paris, 1998.
[10] Brouet, O.Ê: Drogues et relations internationales, ditions Complexe, Bruxelles, 1991.
[11] Borrofica, op. cit. Il est vrai quĠ lĠinverse de lĠAfrique australe (Du Tot, op. cit.) on ne dispose en Afrique de lĠOuest dĠaucune tude historique sur le sujet. Toutefois, tant donn que les rgions nord du Ghana et du Nigeria actuels ont t islamises ds le XVe sicle, quĠelles sont traverses par des routes caravanires centenaires transportant des produits issus du monde arabo-musulman, et que leurs zones sud sont parmi les premires dĠAfrique avoir t connectes au commerce maritime europen, il est trs probable que le cannabis y ait t connu bien avant le milieu du XXe sicle (les premiers Europens sĠtre installs en Afrique subsaharienne sont des Portugais, qui fondrent ds 1492 le fort de SÜo Jorge da Mina sur le site de lĠactuelle ville ghanenne dĠEl Mina).
[12] Ndione, A.Ê: La vie en spirale, Les nouvelles ditions Africaines, 1984.
[13] Bayart, op. cit.
[14] Dans lĠimmense majorit des pays, une dose de cannabis cote sensiblement le mme prix quĠun petit verre dĠalcool local ou quĠune cigarette dĠimportation vendue au dtail, et moins cher quĠune bouteille de bire brasse localement.
[15] Faute de recherche universitaire, lĠusage de cannabis par les enfants-soldats dĠAfrique est illustr dans des romans, dont Allah nĠest pas oblig (Seuil, Paris, 2000) du grand auteur ivoirien rcemment dcd Ahmadou Kourouma.
[16] Les troupes dĠlite recevaient de la cocaïne.
[17] OGDÊ: ÇÊSngalÊÈ, La gopolitique des drogues 1997/1998, Rapport annuel, Paris, Octobre 1998.
[18] OGDÊ: ÇÊLiberiaÊ: trafic dĠune guerre oublieÊÈ, La Dpche Internationale des drogues, fvrier 1994.
[20] Des cas correspondant cette dernire alternative ont t documents en Afrique du Sud, au Lesotho et au Zimbabwe.
[21] OGDÊ: ÇÊSoudanÊÈ, La Gopolitique mondiale des drogues 1995/1996, Rapport Annuel, Paris, Septembre 1997.