Homepage

Violence et cannabisŹ:

Usages du Ētabac du diableČ au Ghana

Laurent Laniel

Traduction revue et actualisŽe de l'article ĒViolencia y marihuana: Usos del "tabaco de diablo" en el Ghana contemporáneoČ publiŽ in Inchaurraga, Silvia (compiladora): Drogas y Drogadependencias, Teor’a, Clínica e Instituciones, CEAD-SIDA, Universidad Nacional de Rosario (UNR), Rosario, 1997.
NB: Silvia Inchaurraga prŽside l'Association pour la rŽduction des risques d'Argentine (ARDA).

Introduction

Drogues et violences sont souvent associŽes. Dans cette fin de vingtime sicle, les deux phŽnomnes ont attirŽ lÕattention, et suscitŽ la prŽoccupation, des pouvoirs publics, de la presse et des chercheurs en sciences sociales. Aux ƒtats-Unis, la lutte contre Ēla drogueČ est souvent justifiŽe par la nŽcessitŽ de combattre la violence urbaine. Que dirent des contacts entre drogue et violence dans un pays comme la ColombieŹ? L'amalgame qui sÕopre dans les discours officiels entre les deux concepts est sans doute h‰tif, mais il nÕest pas compltement fantaisiste. Nous le verrons, une reprŽsentation trs ancienne lie Žtroitement drogue et violence. Il semble donc utile dÕexplorer, mme brivement, les rapports qui peuvent exister, ou dont on dit quÕils existent, entre drogue et violence.

A partir des rŽsultats dÕune enqute sur la consommation du cannabis en milieu urbain ghanŽen effectuŽe en 1995, ce travail se propose de montrer en quoi la reprŽsentation des effets du cannabis prŽvalant chez une grande partie de ses utilisateurs au Ghana constitue un moyen dÕaffronter une violence qui doit tre subie nŽcessairement afin de survivre dans une sociŽtŽ soumise ˆ une Žconomie de pŽnurie et une rŽpartition inŽgale des richesses.

Je proposerai dans un premier temps une brve typologie recensant les liens existant entre drogues et violences. Je prŽsenterai ensuite les rŽsultats, pertinents pour ce travail, de lÕenqute de terrain au Ghana. Enfin, jÕexaminerai ensuite ces rŽsultats ˆ la lumire de la typologie afin de tenter dՎclaircir les liens entre consommation de cannabis au Ghana et ce que je qualifierai de Ēviolence de la modernitŽČ, en empruntant le terme ˆ Le Bot[1].

I) Brve typologie des relations entre drogues et violences

Quelles sont donc les rapports qui sont le plus souvent Žtablis entre drogue et violence ? La recherche bibliographique effectuŽe pour cet article montre quÕen gŽnŽral la violence liŽe au ĒphŽnomne de la drogueČ[2]est instrumentale. CÕest ˆ dire quÕelle sert ˆ lÕavancement de stratŽgies dÕacteurs pour qui elle fait sensŹ: elle est perue et justifiŽe par les diffŽrents acteurs qui la mettent en Ļuvre comme un moyen rationnel, parce quÕefficace, ou en tout cas peru comme tel, dÕarriver ˆ des fins. Il est cependant possible de distinguer deux catŽgories principales de violence liŽe ˆ la drogue. La premire a trait ˆ la prohibition de la production, du commerce et de la consommation de certaines substances que les ƒtats, principalement occidentaux, ont instaurŽ au dŽbut du XX” sicle et quÕils sÕefforcent de faire respecter. La seconde connecte plus directement drogues et violencesŹ: il sÕagit de la violence vŽcue sous lÕinfluence de la drogue. Celle-ci nÕentretient conceptuellement aucun lien avec la prohibition car sÕil y a consommation, cÕest soit que la prohibition nÕest pas en vigueur, soit quÕelle nÕest pas parvenue ˆ sÕappliquer effectivement.

a) La violence liŽe ˆ la prohibition

La violence liŽe ˆ la prohibition des drogues est un phŽnomne typique du XX” sicle et le monopole lŽgitime de la violence de lՃtat y joue un r™le central. Mme sÕil nÕexiste Žvidemment aucun chiffre sur le sujet, il semble raisonnable de considŽrer que, quantitativement, cÕest aujourdÕhui la prohibition qui provoque le plus de violence touchant ˆ la drogue. On peut distinguer trois types fondamentaux de violence liŽe ˆ la prohibition. Les deux premiers sont liŽs ˆ la prohibition lŽgale de la drogue, le troisime, qui est plus rare, ˆ ce quÕon pourrait nommer la prohibition sociale.

i) Violence dՃtat

Le premier type est le plus important car cÕest lui qui dŽtermine lÕexistence du second et lŽgitime, dans une certaine mesure, lÕexistence du troisime. Il sÕagit de la violence mise en Ļuvre par les ƒtats pour faire respecter les lois qui rendent illŽgaux la production, le trafic et la consommation de drogue. Cette violence est exercŽe par les forces de police et les appareils judiciaires, et de plus en plus, notamment sur le continent amŽricain, par les institutions militaires. CÕest ici le contr™le de la consommation des drogues qui est raison de violenceŹ; les buts de la ĒguerreČ sont dÕen finir par la violence dՃtat avec la consommation de stupŽfiants dÕune proportion jugŽe trop importante de la population. La violence dՃtat sÕexerce donc, ˆ divers degrŽs dÕintensitŽ suivant les Žpoques et les pays, contre les consommateurs de drogues, contre les trafiquants et contre les producteurs. La violence dՃtat nÕentra”ne pas toujours la mort de ceux ˆ qui elle est appliquŽe, ni mme de dommages physiques aux personnes. Elle se traduit souvent par la privation de libertŽ. Les antŽcŽdents historiques les plus connus de lÕutilisation de ce type de violence sont les ĒGuerres de lÕopiumČ dans la Chine du XIX” sicle (1839-1842Ź; 1856-1858). LÕexemple actuel le plus criant de son emploi ˆ outrance est la ĒGuerre ˆ la drogueČ, la War on Drugs que mnent officiellement les ƒtats-Unis depuis le milieu des annŽes 1980. La politique amŽricaine de contr™le des stupŽfiants est en effet principalement basŽe sur la rŽpression. Cette guerre ˆ Ēla drogueČ revient donc ˆ utiliser la violence lŽgitime de lՃtat contre les divers acteurs sociaux, et/ou les individus qui les intgrent, qui consomment, produisent et/ou font le commerce des stupŽfiants. Or, la lŽgitimitŽ de lÕutilisation de la force comme principal moyen de lutte contre la drogue est fortement contestŽe aux ƒtats-Unis du fait de son incapacitŽ ˆ atteindre lÕobjectif fixŽ, ˆ savoir une rŽduction significative de la consommation de drogues dans le pays[3]. Cet Žchec patent, dŽmontrŽ publiquement et dŽnoncŽ ˆ maintes reprises sur tous les tons depuis prs dÕune dizaine dÕannŽes par divers intellectuels et membres de la sociŽtŽ civile, nÕa eu que trs peu dÕimpact sur la ligne suivie par le gouvernement fŽdŽral et la majoritŽ des ƒtats en matire de drogueŹ: la mise en Ļuvre de la violence Žtatique continue ˆ tre le moyen de lutte privilŽgiŽ. On peut, dans ces conditions, Žmettre lÕhypothse quÕil y a ici dŽtournement de lÕinstrumentalitŽ de la violence de lՃtat : les objectifs annoncŽs par lՃtat ne seraient pas ceux qui sont effectivement poursuivis. Ainsi, la politique antidrogues amŽricaine servirait ˆ autre chose quՈ lutter efficacement contre la drogue, par exemple ˆ justifier lÕexistence dÕun budget important permettant lÕexistence des divers agences Žtatiques supposŽes combattre le phŽnomne et ˆ fournir un prŽtexte ˆ lÕinterventionnisme des ƒtats-Unis, en particulier en AmŽrique latine. Mme sÕil est impossible de proposer une rŽponse dans le cadre de ce travail, on peut, dans ces conditions, sÕinterroger quant ˆ la lŽgitimitŽ de la violence de lՃtat amŽricain, que de nombreux membres de la sociŽtŽ lui conteste.

ii) Violences Žconomiques: violence budgŽtaire et violence de marchŽ

LÕinterdiction, au dŽbut du XX” sicle en Occident, de la production, du commerce et de la consommation de drogue ˆ des fins non entŽrinŽes par la science mŽdicale dominante a donnŽ naissance ˆ un autre type de relation entre les drogues et la violence. Il est dÕordre Žconomique et peut tre subdivisŽ en deux sous-catŽgories. Aucune de ces deux sous-catŽgories nÕa quoi que ce soit de lŽgal, mme si la premire peut impliquer des acteurs Žtatiques agissant au nom de lՃtat. On peut, dans ce dernier cas, parler de violence dՃtat non lŽgitime, ou en tout cas illŽgale. Ce type de rapport Žconomique entre drogue et violence dŽcoule du fait que le commerce de ces substances est extrmement profitable si on parvient ˆ sÕy livrer malgrŽ lÕinterdiction, cÕest ˆ dire si on parvient ˆ Žviter ou ˆ tenir en Žchec la violence Žtatique.

La premire sous-catŽgorie rŽpond ˆ un impŽratif budgŽtaire de la violence organisŽe, cÕest ˆ dire la guerre (civile ou extŽrieure). Ici, ce nÕest pas la consommation des drogues qui est la cause du conflit, la raison de la violenceŹ; cÕest le commerce des stupŽfiants qui est un instrument permettant la mise en Ļuvre effective de la violence, le plus souvent en servant ˆ financer des achats dÕarmes. CÕest la mme logique budgŽtaire[4] quÕon retrouve ˆ diverses Žpoques et en divers endroitsŹ: depuis lÕimplication des services secrets franais pendant la guerre dÕIndochine, puis des espions amŽricains pendant la guerre du Vietnam dans le trafic dÕopium et dÕhŽroïne[5] et dans celui de la cocaïne dans la guerre anticommuniste en AmŽrique centrale pendant les annŽes 1980[6], jusquÕau trafic de cannabis, de cocaïne et dÕhŽroïne qui a contribuŽ ˆ lÕeffort de guerre de nombre des factions aux prises en ex-Yougoslavie[7], en passant par le r™le de lÕopium et de lÕhŽroïne dans la lutte opposant la dictature militaire birmane du State Law and Order Restoration Council (SLORC) ˆ divers groupes armŽs issus de minoritŽs ethniques[8], la place des mmes substances dans la guerre entre les SoviŽtiques et la rŽsistance afghane[9], les Kurdes dÕanatolie et les autoritŽs turques[10], les Albanais du Kosovo et le gouvernement de Belgrade[11], sans oublier les profits de lÕindustrie de la cocaïne dans le conflit opposant le Sentier lumineux et lՃtat pŽruvien[12], les guŽrillas colombiennes et le gouvernement de Bogota[13], etc.

La seconde sous-catŽgorie de rapport Žconomique entre drogue et violence provient de la nŽcessitŽ pour les trafiquants de possŽder, et souvent de mettre en Ļuvre, un potentiel violent afin de faire respecter les ĒcontratsČ qui lient les diffŽrents agents participant au commerce et de se protŽger de la concurrence (qui inclut lՃtat). La violence est ici nŽcessaire car la prohibition de la drogue signifie non seulement que lՃtat cherche ˆ accaparer le ĒbienČ des trafiquants, mais en outre quÕil ne prend pas en charge la sŽcuritŽ des multiples transferts et arrangements qui sont autant de maillons, et de lieux de violence potentielle, dans la cha”ne qui relie le producteur au consommateur. En fait, il sÕagit ici dÕune Ēviolence de marchŽČ, exercŽe par les agents Žconomiques sur eux-mmes et entre eux. LÕexemple sans doute le plus cŽlbre et le plus spectaculaire de cette Ēviolence de marchŽČ est la ĒguerreČ qui a opposŽ, au dŽbut des annŽes 1980, les trafiquants Colombiens ˆ leurs homologues Cubains pour le contr™le du marchŽ de la cocaïne de Miami, alors le plus grand du monde[14]. AujourdÕhui, les Caraïbes ont perdu leur prŽpondŽrance au profit de la frontire entre le Mexique et les ƒtats-Unis. Et le nord du Mexique est le thŽ‰tre de morts violentes en sŽrie. LÕarrestation, puis ĒlÕexpulsionČ vers les ƒtats-Unis en janvier 1996, dans des conditions plut™t obscures, de Juan García Ábrego, le chef prŽsumŽ de lÕune des plus puissantes organisations de trafiquants mexicaines Š le ĒCartel du GolfeČ Š, trs liŽe au gouvernement du prŽsident Salinas, nÕest sans doute pas Žtrangre ˆ cette vague de dŽcs. Elle ressemble en effet fortement ˆ une redistribution du marchŽ de la contrebande de drogues en direction des ƒtats-Unis[15] entre les grandes organisations criminelles, structurŽes sur la base dÕune division hiŽrarchique des t‰ches Š dont lÕadministration de la violence fait partie Š qui lÕaccaparent[16]. Mais des versions ˆ Žchelle plus rŽduite de cette guerre des gangs, portant par exemple sur le monopole du deal sur un ĒblockČ dÕun ghetto amŽricain, se dŽroulent presque quotidiennement dans nombre de grandes villes du monde. Notons en outre que lÕindustrie de la drogue caractŽrisŽe par la Ēviolence de marchŽČ a favorisŽ, notamment en Colombie, le dŽveloppement dÕun marchŽ de la violence, cÕest ˆ dire dÕune industrie de lÕassassinat, connue dans le pays sous le nom de sicariato. Les besoins en violence de lÕindustrie de la drogue colombienne ont contribuŽ ˆ faire de la violence un service que lÕon rend contre de lÕargent. La violence est ici convertie en marchandise soutenant un mode de vie particulier, celui des sicarios, comme on nomme les jeunes garons qui vivent de lÕindustrie de lÕassassinat en Colombie[17]. Un marchŽ similaire, qui toutefois nÕatteint pas les proportions colombiennes, existe Žgalement au Mexique o les trafiquants de drogues sont aussi de grands employeurs de ce quÕon appelle chez eux des pistoleros.

iii) Violence sociale

Enfin, il faut mentionner un troisime type de rapports entre drogues et violences induits par la prohibition. Je lÕai nommŽ Ēprohibition socialeČ car la violence est ici le rŽsultat de la volontŽ de certains acteurs non-Žtatiques, ou en tout cas qui nÕagissent pas lŽgitimement au nom de lՃtat, dՎliminer physiquement les consommateurs et les petits dealers de drogues de leur environnement. Nous en avons trouvŽ trace dans certains barrios des grandes villes colombiennes o sont actifs des Ēgrupos de limpieza socialČ, ou Ēgroupes de nettoyage socialČ qui sont organisŽs afin dՎliminer les fumeurs de basuko et les vendeurs de cette drogue. Ces derniers ne sont pas, toutefois, leurs seules victimes, et cette forme de violence nÕest donc pas exclusivement liŽe ˆ la drogue, mais elle semble tre assez particulire pour figurer ici.

b) Violence liŽe ˆ la consommationŹ: violence vŽcue volontairement sous influence

La seconde grande catŽgorie de rapports entre drogue et violence est beaucoup moins documentŽe que celle examinŽe dans les paragraphes prŽcŽdentsŹ: cÕest la violence vŽcue sous influence de la drogue. Cette catŽgorie inclut deux sous-groupesŹ: le premier est peuplŽ des cas o la prise de drogue est sciemment instrumentalisŽe afin de faciliter lÕaccomplissement de violencesŹ; elle vise par exemple ˆ stimuler lÕardeur dÕun soldat au combat ou ˆ le rendre inconscient du danger. Il sÕagit dÕune instrumentalisation offensive de la prise de drogue, la violence qui en rŽsulte partant de lÕindividu pour sÕappliquer ˆ lÕenvironnement. Le deuxime sous-groupe est caractŽrisŽ par une relation inverse entre lÕindividu et son environnement et comprend les cas o la prise de drogue sert ˆ supporter ce qui est vŽcu comme une agression extŽrieure. CÕest une instrumentalisation dŽfensive qui permet ˆ lÕindividu de faire face ˆ une violence, non de lÕexercer. CÕest ce second sous-groupe que nous dŽcrirons lors de la troisime partie ˆ lÕaide des informations de lՎtude rŽalisŽe au Ghana.

i) Instrumentalisation offensive : Le modle des HaschischinsČ

Il appara”t que le rapport instrumental offensif entre drogues et violences est un fait trs ancien. CÕest dans lÕhistoire, ou plut™t, semble-t-il, dans la mythologie moyen-orientale quÕil faut en chercher les sources, cÕest pourquoi nous le baptiserons de Ēmodle des HaschischinsČ. Les Haschischins (dont est Žtymologiquement dŽrivŽ le terme ĒassassinČ), membres dÕune secte ismaŽlite qui exista du XI” au XIII” sicle au Moyen-Orient, Žtaient des fondamentalistes religieux qui combattaient, par lÕassassinat sŽlectif -Źune sorte de terrorisme avant la lettreŹ- les seigneurs fŽodaux de la rŽgion. LÕaudace et la sauvagerie de leurs crimes Žtaient telles quÕon les accusa, ˆ tort semble-t-il[18], de ne pouvoir les commettre que sous lÕinfluence du haschisch. La potion magique de Panoramix, le druide ami dÕastŽrix, le fameux personnage de bande dessinŽe, qui donne aux Gaulois une force surhumaine leur permettant de rosser les Romains, est sans doute un avatar de cette ancienne reprŽsentation, importŽe en Europe par Le Livre des Merveilles de Marco Polo. Ce modle de relations entre drogues et violences, mme sÕil est basŽ sur un mythe, sÕavre utile pour dŽcrire ce quÕil est convenu dÕappeler la Ētoxicomanie de guerreČ, cÕest ˆ dire lÕutilisation de drogues servant ˆ stimuler lÕardeur au combat et/ou ˆ faire dispara”tre la douleur dues aux traumatismes physiques ou psychiques causŽs par la guerre. CÕest ici le premier cas qui nous intŽresseŹ: lorsque que la nŽcessitŽ dÕinfliger la violence est perue comme si anormale quÕil faut sÕaider dÕun ŽlŽment extŽrieur. Nous nÕavons trouvŽ quÕun seul exemple dÕinformations publiŽes illustrant ce modle ˆ lՎpoque actuelle. Il sÕagit des tŽmoignages de miliciens libanais recueillis par le psychiatre libanais Antoine Boustany en 1975 ˆ Beyrouth pendant la guerre. Un jeune milicien traitŽ par Boustany lors dÕune crise de folie due ˆ lÕabsorption dÕune trop forte dose de haschisch et dÕalcool, lui confie quÕil avait pris lÕhabitude de fumer des joints, sur les conseils dÕun ami, pour Ēse sentir courageux, audacieux, intrŽpide, pour se dŽbarrasser de la peurČ et se faire ainsi bien voir de ses chefs[19]. Un autre, ˆ qui on avait confiŽ le commandement dÕun poste particulirement difficile sur le front, et qui venait voir le psychiatre pour tenter de soigner sa dŽpendance de la cocaïne, lui dŽclareŹ: ĒEffectivement, ds que jÕen ai pris, docteur, jÕai senti mes forces dŽcupler, mon Žnergie nÕavait plus de limites [...] et le matin, aprs un combat de sept ˆ huit heures dÕaffilŽe, je me sentais aussi leste et dispos quÕen dŽbut de soirŽe.Č[20] Ce milicien avait confiŽ auparavant ˆ Boustany que ce furent ses chefs qui lui avaient ĒconseillŽČ de prendre de la cocaïne et qui lui en fournissaient. Des journalistes, qui sՎtaient rendus en Bosnie et en Croatie pendant la guerre qui y a rŽcemment sŽvi, mÕont Žgalement dŽclarŽ que nombre de combattants y faisaient usage de haschisch et dÕamphŽtamine, la cocaïne Žtant plut™t rŽservŽe aux officiers. Au cours dÕune conversation que jÕai eue au Ghana en 1990 avec des rŽfugiŽs libŽriens, mes interlocuteurs ont fait Žtat de lÕutilisation de la marijuana par les hommes des groupes armŽs qui sÕaffrontent dans ce pays. DÕaprs leurs tŽmoignages, lÕinfluence de la drogue expliquerait les atrocitŽs auxquelles se sont livrŽes les factions en prŽsence contre les populations civiles.

On peut, ˆ partir des donnŽes prŽsentŽes dans cette partie consacrŽes aux liens entre consommation de drogues et mise en Ļuvre de violences, affirmer que lÕamalgame souvent effectuŽ dans les discours officiels nÕest pas une pure fantaisie. Il semble bien que les individus mis en situation de devoir exercer des violences pendant de longues pŽriodes, lors dÕune guerre par exemple, croient effectivement que la prise de drogue les y aidera. Que cette croyance, que nous avons qualifiŽe de Ēmodle des HaschischinsČ, soit ou non basŽe sur une rŽalitŽ objective, cÕest ˆ dire que les drogues permettent chimiquement de faciliter lÕexercice de la violence par un individu, est un problme trs secondaire. Ce sur quoi nous voulons insister, en tout cas lÕhypothse que nous voudrions suggŽrer, ˆ partir de ces quelques exemples provenant dÕaires culturelles aussi diffŽrentes que lÕafrique, lÕEurope et le Moyen-Orient, cÕest que lÕexercice de la violence est ressenti comme quelque chose de tellement ĒinnaturelČ, quÕil implique une telle rupture avec le comportement normal des individus en sociŽtŽ, que ces derniers doivent souvent avoir recours ˆ un ŽlŽment extŽrieur, une drogue, pour tre capables de sÕy livrer de faon rŽpŽtŽe. Cette reprŽsentation des effets de la drogue est, semble-t-il, acquise par les combattants, qui y sont initiŽs par leur pairs. Il sÕagit donc bien dÕun phŽnomne social, puisque cette reprŽsentation de la drogue facilitatrice de violence est propagŽe par lÕinteraction sociale des individus.

Mme si la recherche en lՎtat ne permet pas de lÕaffirmer sans Žquivoque pour le Ēmodle des HaschischinsČ (ainsi que pour lÕinstrumentalisation dŽfensive que nous examinerons plus bas), on peut souponner quÕil sÕagit lˆ dÕun phŽnomne dÕapprentissage similaire ˆ celui dŽcrit par Becker lorsquÕil parle des premires Žtapes de la carrire du fumeur de marijuana amŽricain des annŽes 1950. Becker montre en effet que le fumeur apprend ˆ Ēutiliser la marijuana pour le plaisirČ, lÕeffet de la drogue ne sÕimpose pas ˆ lui sans interaction sociale, Ēles explications psychologiques ne suffisent pas en elle-mme ˆ rendre compte de lÕusage de la marijuana, et [...] elles ne sont peut-tre pas nŽcessaires pour cela.Č[21] Il ne semble pas exagŽrer de penser que si un apprentissage est nŽcessaire pour fumer de la marijuana Ēpour le plaisirČ, comme dit Becker, ce type dÕinteraction sociale sera Žgalement une condition sine qua non ˆ son utilisation pour exercer de la violence.

II) Usages du cannabis au Ghana

Pour qui conna”t le Ghana dÕaujourdÕhui, il para”tra sans nul doute aberrant quÕon prenne ce pays en exemple dans un travail consacrŽ ˆ la violence, y compris la violence liŽe au phŽnomne de la drogue SÕil fallait en croire les discours officiels ŽvoquŽs plus haut, ce petit pays dÕafrique de lÕOuest, indŽpendant depuis 1957, devrait conna”tre des taux de violence bien plus ŽlevŽs que ceux qui y prŽvalent effectivement. Non sans raison, lÕancienne Gold Coast britannique est ŽtiquetŽe dans toute lÕafrique de lÕOuest et au-delˆ, comme exportateur de prostituŽes et dÕune marijuana rŽputŽe pour sa puissance[22], appelŽe Ēabonsam tawaČ (le tabac du diable) dans le sud du Ghana. Certaines Žtudes font remonter lÕintroduction du cannabis dans le pays au milieu des annŽes 1940[23]. De plus, des GhanŽens ont ŽtŽ ˆ lÕorigine du dŽveloppement de cultures de cannabis dans dÕautres pays et quÕils contr™lent certains rŽseaux du trafic ˆ partir de ces pays. Le Ghana est en outre une importante plaque tournante, un Ēterritoire de transitČ dans le jargon des spŽcialistes, pour la rŽexportation dÕhŽroïne asiatique et de cocaïne sud-amŽricaine (principalement exportŽe du BrŽsil) en direction des marchŽs de consommation europŽens et nord-amŽricains. Une partie de ces drogues dures reste dans le pays et alimente un marchŽ local de la consommation en pleine croissance[24]. Le cannabis, comme les autres drogues, y est compltement prohibŽŹ: sa production et sa commercialisation sont punies de 10 ans de prison, sa consommation, de 5 ans[25]. De plus, LÕusage de la drogue est moralement condamnŽ au Ghana, cette condamnation est trs forte et prŽvaut pour lÕensemble de la sociŽtŽ. On considre en gŽnŽral que les consommateurs de drogues sont des dŽvoyŽs, des espces de dŽgŽnŽrŽs, ce qui permet de continuer ˆ entretenir lÕillusion confortable quÕils constituent une petite minoritŽ de dŽviants. Il sÕagit de la survivance dÕune rŽalitŽ ancienne, aujourdÕhui dŽcalŽe avec la rŽalitŽ. MalgrŽ tout, le Ghana est certainement aujourdÕhui lÕun des pays les plus paisibles du monde et il semble donc constituer une exception ˆ la rgle qui veut que des liens existent immanquablement entre phŽnomne de la drogue et violence. Nous verrons quÕen fait de tels liens existent, mais quÕils se prŽsentent sous une forme diffŽrente de celles quÕon est habituŽ ˆ considŽrer.

Au contraire de lÕamŽrique andine (surtout Bolivie, Colombie et PŽrou) et de lÕasie (le Triangle dÕOr Š Laos, Thaïlande et BirmanieŹŠ et le Croissant dÕOr Š Iran, Pakistan et Afghanistan), o le phŽnomne a ŽtŽ ŽtudiŽ depuis longtemps et en dŽtail, la rŽalitŽ africaine de la drogue reste encore en grande partie obscure. Les rares Žtudes poussŽes qui existent sont en gŽnŽral de type ŽpidŽmiologique, cÕest ˆ dire quÕelles nÕenvisagent le problme de la consommation que dÕun point de vue sanitaire[26].

La section suivante sÕappuie sur les rŽsultats dÕune enqute sociologique de terrain menŽe dans le sud du Ghana, et principalement dans les quartiers populaires dÕaccra, la capitale, entre juin et juillet 1995. Outre des policiers, des douaniers et des mŽdecins, les personnes interrogŽes pour cette Žtude Žtaient des chauffeurs de taxi, des serveurs des restaurants, des bars et des bo”tes de nuit (huppŽs et populaires) et leurs clients, des cireurs de chaussures, des ĒprostituŽesČ[27], et bien sžr de fumeurs et de dealers de marijuana. LՎtude nÕa pas seulement pris en compte les entretiens des utilisateurs de cannabis. JÕai Žgalement effectuŽ des recoupements avec des articles de journaux, des conversations avec des personnes non directement liŽes au phŽnomne de la drogue[28], des observations que faites ailleurs, des donnŽes Žconomiques et sociales glanŽes dans divers ouvrages, etc. Il me semble avoir mis ˆ jour, par cette collecte dÕinformations Ētous azimutsČ, puis leur arrangement postŽrieur en un ensemble cohŽrent, ˆ une explication inŽdite de la consommation de marijuana parmi les secteurs pauvres, et sociologiquement pertinente et importante car elle concerne la majoritŽ des utilisateurs, au moins des utilisateurs urbains, de cannabis dans ce pays.

Dans les secteurs sociaux pauvres dÕaccra, et des grandes villes ghanŽennes en gŽnŽral, la vente et la consommation de marijuana se font dÕhabitude au mme endroit, souvent sur des terrains vagues ou ˆ lÕintŽrieur de b‰timents dŽsaffectŽs ou en construction. DÕaprs les dealers et les fumeurs, les policiers ne viennent que trs rarement, car ces endroits sont situŽs dans des quartiers pauvres, dont la police se dŽsintŽresse gŽnŽralement (on dit Žgalement quÕelle est payŽe pour fermer les yeux). Les policiers eux-mmes mÕont confiŽ quÕils tolŽraient ces lieux, quÕils connaissent parfaitement, comme pratiquement tout le monde ˆ Accra (mme si tout le monde ne lÕavouera pas forcŽment). Mme si elles le dŽsiraient, la police et la justice nÕont de toute faon pas les moyens matŽriels dÕarrter et de juger tout ce monde, et les prisons sont dŽjˆ surpeuplŽes...

a) RŽsultats

DÕaprs Borrofica[29] se seraient les soldats ghanŽens et nigŽrians ayant combattu dans les forces britanniques en Asie pendant la deuxime guerre mondiale qui auraient introduit le cannabis dans leurs pays respectifs de retour dÕInde, o ils Žtaient basŽs et avaient appris ˆ utiliser la marijuana. Mais il est trs probable que cette thse soit erronŽe car les rŽgions septentrionales du Ghana et du Nigeria actuelles ont ŽtŽ islamisŽes ds le XV sicle et elles sont traversŽes par des routes caravanires centenaires transportant des produits issus du monde arabo-musulman; leurs zones mŽridionales ont ŽtŽ parmi les premires d'Afrique subsaharienne ˆ tre connectŽes au commerce maritime europŽen (les premiers EuropŽens ˆ s'tre installŽ sur le continent subsaharien sont des Portugais, qui fondrent le fort de São Jorge da Mina, sur le site de l'actuelle ville ghanŽenne d'El Mina ds 1492). Dans tous les cas, le cannabis est aujourdÕhui cultivŽ et fumŽ partout dans le pays. Ceci ne signifie pas que la production et la consommation se soient dŽveloppŽes avec la mme ampleur sur lÕensemble du territoire. CÕest initialement dans le sud du pays que les deux phŽnomnes ont atteint le plus dÕampleur, ce qui indique que le dŽveloppement du phŽnomne du cannabis est fortement liŽ ˆ des raisons socio-Žconomiques. Le sud du Ghana, majoritairement chrŽtien ou animiste, est la rŽgion du pays la plus peuplŽe et la plus dŽveloppŽe. Les Žchanges y sont beaucoup plus monŽtisŽs que dans le nord musulman (ˆ la frontire du Sahel), trs pauvre et dŽpourvu dÕinfrastructure, o la principale activitŽ Žconomique est lÕagriculture de subsistance. En revanche, depuis lÕarrivŽe des premiers EuropŽens Š des PortugaisŹŠ au XV” sicle, le sud est directement connectŽ ˆ lՎconomie mondiale en tant quÕexportateur de matires premires. On exporta dÕabord de lÕor et de lÕivoire, puis des esclaves, des produits de la palme, plus tard du cacao, de la bauxite, des diamants et toujours de lÕor, sans oublier le cannabis. Pour des raisons liŽes aux cycles de vie des arbres de cacao, au mode de reproduction des cacaoyres, qui implique le dŽfrichement constant de nouvelles parcelles de fort vierge, et ˆ lՎpuisement des rŽserves ghanŽennes de fort vierge vers le milieu des annŽes 1960,[30] il est vraisemblable que les premiers cultivateurs ˆ grande Žchelle de cannabis aient ŽtŽ des planteurs de cacao qui trouvrent lˆ un moyen de compenser la baisse de rendement de leurs plantations.[31] AujourdÕhui encore, les principales rŽgions de production du cannabis identifiŽes par les autoritŽs sont Žgalement les plus importantes zones de production cacaoyre.

DÕautre part, on note que ce sont des militaires qui sont ˆ lÕorigine de son introduction dans le pays et que les premiers consommateurs de cannabis ghanŽens ont ŽtŽ des militaires, cÕest ˆ dire des gens devant accomplir des actions violentes, anormales dans la vie courante et requŽrant un Žtat dÕesprit particulierŹ: celui de surmonter la peur, dÕavoir du courage.

LÕusage de la marijuana est donc, ds lÕorigine, directement reliŽ au Ghana ˆ ce quÕon pourrait appeler une reprŽsentation Ēutilitariste concrteČ des effets de la planteŹ: on ne fume pas pour se divertir, pour ĒsՎclaterČ, ni pour avoir des hallucinations ou de lÕinspiration (sauf dans le cas des artistes, ce qui nÕinvalide pas notre remarque, bien au contraireŹ: lÕinspiration est une nŽcessitŽ vitale pour un artiste), ni pour atteindre un Žtat de conscience autre comme en Europe ou en AmŽrique du Nord dans les annŽes 1960/70, mais pour mener ˆ bien des activitŽs, ressenties comme difficiles, qui touchent ˆ la survie mme du consommateur.

i) Identification des principaux secteurs sociaux consommateurs

Cette reprŽsentation utilitariste des effets du cannabis est encore en vigueur aujourdÕhui dans le paysŹ: la majoritŽ de nos interlocuteurs justifiaient leur usage du cannabis en disant quÕil leur donnait de la force et leur permettait de travailler dur. La consommation de marijuana est donc sous-tendue par une nŽcessitŽ concrte quelconque, en gŽnŽral reliŽe au besoin de gagner sa vie ć ce qui peut parfois signifier passer outre un tabou : voler, se prostituer, et dans le cas des militaires, tuer ou au moins risquer sa vie. Mais gagner sa vie pour la majoritŽ des GhanŽens pauvres, cÕest souvent Ēplus simplementČ devoir travailler de trs longues heures dans la chaleur moite, dans une plantation ou sur un chantier, dans un taxi, ˆ arpenter les rues pour trouver un client si on est vendeur de journaux ou cireur de chaussures... Bref, dans des conditions difficiles, en ne faisant souvent quÕun repas par jour, rarement accompagnŽ de viande, en vivant dans des habitations souvent insalubres et surpeuplŽes. AujourdÕhui encore, les principaux utilisateurs du cannabis en milieu urbain, et les plus nombreux, restent les soldats, les dockers, les chauffeurs routiers et leurs assistants (driversÕ mates), les cireurs de chaussures (en gŽnŽral des enfants qui dorment dans la rue), les marchands ˆ la sauvette, les ouvriers travaillant dans la construction, les policiers en faction durant la nuit, les ĒwatchmenČ (cÕest ˆ dire les gardiens des maisons des riches, qui doivent thŽoriquement veiller toute la nuit, et sont parfois amenŽs ˆ affronter les cambrioleurs) les prostituŽes, les voleurs, et bien sžr les dealers, etc. La consommation de cannabis dans les campagnes semble Žgalement rŽpondre au modle utilitariste, on peut du moins lÕinfŽrer au vu de divers tŽmoignages qui ont indiquŽ que les ouvriers agricoles des plantations de cacao, les petits paysans mara”chers et autres, les pcheurs, et les petits mineurs dÕor indŽpendants (appelŽs galamsey) fumaient de la marijuana. Ce groupe, quÕon pourrait appeler le Ēpetit peupleČ constitue la majoritŽ des personnes vivant au Ghana.

Un usage rŽcrŽatif de la marijuana existe nŽanmoins au Ghana, mais il est le fait des riches, surtout des jeunes issus de familles de propriŽtaires terriens ou dÕentreprises commerciales, membres des professions libŽrales, hauts fonctionnaires et politiciens, ainsi que des jeunes expatriŽs occidentaux, libanais et indiens. Des professeurs dÕuniversitŽ, qui font plut™t partie des classes moyennes, mais qui ont souvent ŽtŽ formŽs en Occident ou dans ce qui Žtait lÕUnion soviŽtique (principalement ˆ lÕUniversitŽ Patrice Lumumba de Moscou) comptent Žgalement au nombre des usagers rŽcrŽatifs, auxquels il faut ajouter nombre des touristes occidentaux qui viennent de plus en plus nombreux passer des vacances au Ghana. Ces Ēconsommateurs rŽcrŽatifsČ, que ce soit la Ējeunesse dorŽeČ locale rencontrŽe dans les bars et les bo”tes huppŽs et ˆ la mode dÕaccra, les expatriŽs qui frŽquentent les mmes endroits, les universitaires ou les touristes, sont largement minoritaires et ne sont absolument pas reprŽsentatifs de la sociŽtŽ ghanŽenne. Ils sont en fait un petit groupe de privilŽgiŽs.

On peut donc dire que, majoritairement, la consommation de la marijuana nÕappartient pas, au Ghana, au domaine des loisirsŹ: bien au contraire, de lÕaveu mme des consommateurs, le cannabis est un complŽment, une aide ˆ la vie professionnelle des secteurs dŽfavorisŽs, un peu comme la cocaïne dans certains milieux professionnels occidentaux, les financiers et les gens qui travaillent dans les mŽdias par exemple. On fume pour se faire violence, pour supporter quelque chose qui est ressenti comme Žtranger ˆ lՎtat normal, hors de luiŹ: un travail peru comme Žtant particulirement difficile, un acte violent, mais nŽcessaire ˆ la survie. Tous les consommateurs ne fument pas forcŽment tous les jours, certains ne disposent des moyens financiers nŽcessaires ˆ lÕachat du produit, ou ne ressentent la nŽcessitŽ de fumer, quÕoccasionnellement. CÕest donc dÕabord vers les couches de la population effectuant des travaux perus comme difficiles ou dangereux, souvent ˆ juste titre[32], quÕil faut chercher les foyers majeurs de consommation de la marijuana.

La diffusion originelle de la culture de la plante dans le pays sÕest donc vraisemblablement dÕabord faite pour rŽpondre ˆ cette demande interne Žmanant en premier lieu des secteurs dŽfavorisŽs (jusquÕau milieu des annŽes 1960, ils Žtaient constituŽs essentiellement dՎmigrŽs provenant de lՎtranger ou du nord du Ghana), puis des classes hautes (qui reproduisirent le mode de consommation rŽcrŽatif hŽritŽs des Occidentaux, dont ils partagent le mode de vie), puis des classes moyennes. Ces dernires ont subi un processus soutenu de paupŽrisation, qui a commencŽ ˆ la fin des annŽes 1960 et ne sÕest achevŽ quÕau milieu des annŽes 1980. Les classes moyennes ont ŽtŽ touchŽes de plein fouet par une crise Žconomique qui a durŽ une quinzaine dÕannŽe, et dont les effets ont ŽtŽ encore accentuŽs par lÕincurie et la corruption des divers gouvernements civils et militaires qui se sont succŽdŽs pendant cette pŽriode. Ce processus de paupŽrisation des classes moyennes les a rapprochŽ des classes pauvres traditionnelles et a sans doute poussŽ les premires ˆ adopter la reprŽsentation utilitariste concrte des effets du cannabis prŽvalant chez les secondes.

DÕaprs les policiers, ce serait environ 15% de la population qui utiliserait le cannabis. Sachant que le Ghana comptait en 1993 environ 16,5 millions dÕhabitants[33], on arrive ˆ un chiffre de 2Ź750Ź000 consommateurs. Il est difficile de juger de la prŽcision dÕune telle estimation, mais on peut tout de mme remarquer quÕelle est supŽrieure ˆ celle qui est dÕhabitude donnŽe pour les pays dŽveloppŽs, soit environ 10% de la population (entre 4 et 6 millions de consommateurs en France Š pour une population de 55 millions Š et entre 20 et 30 millions aux ƒtats-Unis Š pour une population de 250 millions), ce qui nÕest pas forcŽment Žtonnant dans un pays producteur o existe une forte connexion entre la consommation du cannabis et lÕactivitŽ professionnelle de personnes Žconomiquement dŽfavorisŽes, cÕest ˆ dire actuellement la grande majoritŽ des GhanŽens. DÕautre part, il faut noter que le prix de la marijuana vendue au dŽtail au Ghana est assez bas, compte tenu du pouvoir dÕachat du ghanŽen moyen. Le salaire mensuel moyen au Ghana est de 50.000 cŽdis (1 dollar valait 1200 cŽdis en juillet 1995, il vaut encore plus aujourdÕhui car lÕinflation est forte au Ghana). La plus petite unitŽ de commercialisation de la marijuana au Ghana est appelŽe ĒwrapČ ou ĒwrapperČ et cote 100 cŽdis. Il sÕagit dÕune dose prte ˆ fumer qui contient de 3 ˆ 5 grammes dÕherbe enveloppŽs dans le morceau de papier, dŽcoupŽ dans une feuille de papier dactylo, trs fin qui servira ˆ la fumer (dÕo son nomŹ: le verbe anglais to wrap, emballer, signifie en pidgin ghanŽen rouler une cigarette ou un joint). A titre de comparaison, une cigarette vendue au dŽtail, de marque Rothmans, Embassy ou 555, toutes marques fabriquŽes au Ghana, cote 50 cŽdis et un petit verre, ou ĒshotČ, dÕakpeteshe, lÕeau de vie locale, cote 100 cŽdis. Le wrap est lÕunitŽ de commercialisation la plus utilisŽe par les consommateurs utilitaristes concrets.

Pour 1000 cŽdis, soit le prix dÕun paquet de cigarettes de lÕune des marques susmentionnŽes (une bouteille de bire, brassŽe au Ghana, de 75 centilitres, cote entre 600 et 800 cŽdis) on peut acheter un ĒpacketČ, contenant principalement des sommitŽs florales, encore en branche, et pesant environ 30 grammes. LÕherbe est ici emballŽe dans un morceau de sac de ciment, qui nÕest pas utilisŽ pour fumer.

III) Consommation de cannabis et violence de la modernitŽ

DÕaprs les rŽsultats prŽsentŽs dans la partie prŽcŽdente, et en reprenant la typologie Žtablie dans la premire partie, on peut classer les consommateurs de cannabis ghanŽens en trois catŽgories. La premire est constituŽe des utilisateurs rŽcrŽatifs, dont nous avons vu quÕils se recrutaient principalement parmi les secteurs privilŽgiŽs, en tout cas aisŽs, de la sociŽtŽ. Ils constituent ĒlՎliteČ ghanŽenne, une minoritŽ numŽrique, et sont le plus souvent coupŽs des rŽalitŽs quotidiennes de la majoritŽ de la population. On peut considŽrer que leur mode de consommation du cannabis constitue une reproduction de celui prŽvalant dans les pays occidentaux o la marijuana et le haschisch sont fumŽs surtout lors de moments de dŽtente, de loisirs, en tout cas dÕinactivitŽ. Cette utilisation de la plante est liŽe ˆ une recherche du plaisir. Habitant lÕafrique, cette Žlite socio-Žconomique ˆ la tte ailleursŹ: elle partage dans une trs large mesure les modes de consommation et les structures mentales qui prŽvalent en Occident, soit parce que ces membres en sont directement issus (touristes, expatriŽs occidentaux) soit parce quÕils ont les moyens et quÕils dŽsirent imiter ce qui constitue, cÕest en tout cas trs clairement le cas au Ghana, le modle dominant de mode de vie ˆ adopter (expatriŽs indiens et libanais, riches ghanŽens Š hauts fonctionnaires, politiciens, propriŽtaires de terres ou dÕentreprises commerciales), soit parce quÕils ont ŽtŽ formŽs dans les pays riches (expatriŽs indiens et libanais Š dont beaucoup ont fait des Žtudes en Angleterre, aux ƒtats-Unis et en France Š, universitaires, riches ghanŽens). Le mode rŽcrŽatif de consommation du cannabis prŽvalant dans ce groupe nÕentretient aucun rapport avec la violence, et donc avec lÕargument dŽfendu ici.

Les modes de consommation des deux autres catŽgories, en revanche, peuvent tre dŽfinis par rapport aux relations quÕils entretiennent avec la violence. Pour ce faire, il faut couper en deux groupes la catŽgorie des consommateurs Ēutilitaristes concretsČ prŽsentŽe plus haut afin de prŽciser les relations que ses membres entretiennent avec la violence.

En utilisant les deux sous-reprŽsentations inclues dans la catŽgorie Ēviolence liŽe ˆ la consommationŹ: violence vŽcue volontairement sous influenceČ de notre typologie, ˆ savoir le Ēmodle des HaschischinsČ, caractŽrisŽ par une instrumentalisation offensive de la prise de cannabis, cÕest ˆ dire la consommation de cannabis pour exercer une violence vers lÕextŽrieur, et le modle de ĒlÕinstrumentalisation dŽfensiveČ o le cannabis sert ˆ supporter une violence exercŽe depuis lÕextŽrieur sur lÕindividu, on peut classer les consommateurs de cannabis ghanŽens non rŽcrŽatifs en deux groupes. Rappelons que le modle des Haschischins et lÕinstrumentalisation dŽfensive tombent dans la mme catŽgorie conceptuellement supŽrieureŹ: celle ou les effets perus du cannabis rŽpondent au besoin dÕexercer une activitŽ ĒinnaturelleČ, hors des capacitŽs normales de celui qui sÕy livrent et nŽcessitant de ce fait une aide extŽrieure pour pouvoir tre menŽe ˆ bien.

On peut inscrire les premiers sous le modle des Haschischins. Ce modle intgre tous ceux dont lÕactivitŽ Žconomique, cÕest ˆ dire la survie, dŽpend de leur capacitŽ ˆ exercer une violence. Ce groupe inclut donc les militaires (dont un contingent roulant est en situation de combat dans le cadre de la force dÕinterposition ouest-africaine au Liberia, lÕECOMOG) et les watchmen. Nous incluons Žgalement dans ce sous-groupe les cambrioleurs (le cambriolage nÕest pas forcŽment leur seule activitŽ Žconomique, mais lorsquÕils sÕy livrent, ils entrent dans ce sous-groupe). Ces derniers nÕexercent pas systŽmatiquement de violence contre des personnes lors de leurs activitŽs, mais ils peuvent tre amenŽ ˆ le faire pour sՎchapper sÕils sont dŽcouverts. De toute faon, leur activitŽ comporte un caractre offensif, une violence exercŽe contre la propriŽtŽ dÕautrui. De plus, les cambrioleurs ont besoin de courage car ils risquent toujours de se faire prendre, ce qui peut signifier parfois livrer un combat ˆ mort, en tout cas risquer de graves blessures (les watchmen sont armŽs dÕarcs tirant des flches empoisonnŽes, de machettes et de casse-tte. Il nÕexiste en outre aucune compassion envers les voleurs au Ghana). La violence est ici latente. On peut penser que les policiers fumeurs entrent Žgalement dans cette catŽgorie. Toutefois, leur statut est plus ambigu. En effet, les cas de consommation de cannabis parmi les policiers que jÕai personnellement ŽtŽ amenŽ ˆ constater, tendraient plut™t ˆ les faire entrer dans le groupe des ĒdŽfensifsČ. Les policiers que jÕai vu fumer Žtaient en faction de nuit aux barrages routiers systŽmatiquement en place aux croisements stratŽgiques des rŽseaux routiers urbains et ˆ lÕentrŽe des villes principales. Je nÕai pas pu les interroger, mais il est possible quÕils considrent les effets du cannabis comme plut™t dŽfensifs, les instrumentalisant afin de supporter une longue veille dans des conditions difficiles. Mais le but officiel des barrages est de dŽcourager dՎventuelles tentatives de coup dՃtat, et les policiers en faction pourraient donc tre amenŽs ˆ exercer une violence. Nous les classerons donc tout de mme dans le groupe rŽpondant au modle des Haschischins

En termes socio-Žconomiques, ce premier sous-groupe est donc constituŽ dÕindividus qui appartiennent majoritairement ˆ des secteurs moyens-bas (les soldats et les policiers de base), cÕest ˆ dire quÕils ne sont pas confrontŽs ˆ de grandes difficultŽs Žconomiques, quÕils mangent ˆ leur faim, ont un logement assez dŽcent, et quÕils peuvent peut-tre mme faire quelques Žconomies du fait quÕils sont logŽs et nourris par leur employeur. Ils sont toutefois issus de milieux ruraux ou urbains pauvres en termes socio-Žconomiques et culturels. Les autres, les voleurs et les watchmen (trs frŽquemment des ŽmigrŽs provenant dÕautres pays ou du nord-Ghana) appartiennent en revanche aux secteurs pauvres, Žconomiquement faibles, et socialement dŽconsidŽrŽs. Ils ont souvent plus dÕun emploi, Žtant formellement au travail plus de douze heures par jour[34]. Leur travail leur permet dÕavoir un logement (petit, insalubre et quÕils doivent en gŽnŽral partager avec plusieurs autres personnes) et de manger (mais rarement de la viande, trs chre au Ghana).

Le second sous-groupe instrumentalisant les effets du cannabis ˆ des fins impliquant la violence le fait pour des raisons dŽfensives et ses membres se recrutent parmi les secteurs socioŽconomiquement dŽfavorisŽs. Il est le plus intŽressant ˆ analyser car il nÕa, que je sache, jamais ŽtŽ documentŽ ou ŽtudiŽ. Cela est sans doute d au fait que dÕune part la consommation de cannabis est en gŽnŽral un phŽnomne clandestin, donc difficile ˆ apprŽhender. Peut-tre Žgalement un relatif dŽsintŽrt existe-t-il ˆ lՎgard de la consommation du cannabis au Ghana et en Afrique en gŽnŽral. En outre, la consommation de drogues en gŽnŽral, et de cannabis en particulier, nÕest souvent ŽtudiŽe que sous lÕangle sanitaire ou en ce quÕelle favorise le trafic. On lÕexplique gŽnŽralement rapidement comme un besoin de fuir la rŽalitŽ ou la recherche dÕun plaisir, considŽrŽ comme illicite. Or, cette consommation est plus problŽmatique que cela et il est sociologiquement important dՎtudier ce phŽnomne quÕon ne voit pas, dont on ne parle pas, ou si peu, et sans vraiment chercher ˆ comprendre, car, au moins dans le cas du Ghana, il touche ˆ la survie dÕun grand nombre de personnes appartenant aux secteurs dŽfavorisŽs, cÕest ˆ dire ˆ lÕimmense majoritŽ de la population.

Ce sous-groupe comprend donc, parmi les groupes professionnels identifiŽs dans la deuxime partie (mais il y en a sžrement dÕautres)Ź: les dockers, les chauffeurs routiers et leurs assistants, les chauffeurs de taxi[35] les cireurs de chaussures, les marchands ambulants, les journaliers trouvant ˆ sÕemployer au marchŽ ou sur des chantiers, etc. Bref, toutes les personnes ayant un emploi prŽcaire, mal rŽmunŽrŽ et impliquant en gŽnŽral un effort physique important et soutenu sur une longue pŽriode. Pour eux, les effets du cannabis servent ˆ supporter un travail quÕils peroivent comme difficile, une activitŽ Žconomique trs ardue mais nŽcessaire ˆ la survie. La violence impliquŽe dans ce sous-groupe est celle de lÕenvironnement sÕexerant sur les individus. Elle est prŽsente dans les conditions de travail trs dures (en Europe, on les qualifieraient dÕinacceptables) quÕils doivent affronter quotidiennement, pendant de longues journŽes, pour des salaires de misre permettant dans la majoritŽ des cas, mais pas toujours, tout juste de manger et de se loger. Ceux qui le peuvent exercent plus dÕun emploi, et cÕest mme souvent nŽcessaire ˆ la simple survie, surtout si on a une famille, ce qui rallonge les journŽes. Les pressions Žconomiques qui sÕexercent sur ces secteurs, se traduisent Žgalement en pressions sociales. Si, pour nourrir sa famille, il faut travailler 15 heures par jour, et si la majoritŽ de la population le fait effectivement, il se forme une pression sociale poussant les individus ˆ culpabiliser sÕils ne parviennent pas ˆ travailler aussi dur que le voisin. DÕo, un argument supplŽmentaire pour avoir recours au cannabis.

La consommation du cannabis est liŽe aux conditions de travail, donc de survie de ce qui constitue la majoritŽ des GhanŽens. Ces conditions de travail dŽpendent directement de lÕexploitation ˆ laquelle est soumise la majoritŽ au sein dÕune Žconomie caractŽrisŽe par la pŽnurie (le produit national brut par habitant du Ghana Žtait de 430 dollars en 1993, il Žtait en France la mme annŽe de 22.360 dollars) et la rŽpartition inŽgale des richesses[36]. Le Ghana est lui-mme soumis ˆ exploitation par le systme Žconomique mondial, qui le cantonne dans un r™le dÕexportateur de matires premires. Cette double exploitation Žconomique embo”tŽe ˆ pour consŽquence des conditions de vie extrmement difficile pour la population. La consommation du cannabis sous-tendue par une reprŽsentation dŽfensive des effets de la plante qui prŽvaut chez les pauvres du Ghana est rŽvŽlatrice de ce que jÕappellerai la violence de la modernitŽ. On fume du cannabis pour affronter cette violence, la supporter et survivre. La violence de la modernitŽ se traduit, pour les pauvres ghanŽens, par lÕimposition de conditions de travail extrmement difficiles dans le cadre dÕun systme dÕexploitation capitaliste ˆ outrance nÕoffrant dÕautre alternative que la soumission. La destruction des liens de solidaritŽ familiaux et/ou communautaires, la monŽtisation des Žchanges Žtendue ˆ presque tous les aspects de la vie sociale (mme sexuels et amoureux) tendent ˆ rendre le recours ˆ lÕargent comme une solution ˆ tous les problmes. Si Becker pouvait montrer, dans les annŽes 1950, que la dŽviance liŽe ˆ la consommation de marijuana Ēmarchait ˆ double sensČ, cÕest ˆ dire que les fumeurs, ŽtiquetŽs comme dŽviants par lÕopinion majoritaire, se complaisaient dans ce statut en produisant ˆ leur tour une justification ˆ leur utilisation de la plante fondŽe sur un rejet des normes prŽvalant pour la majoritŽ[37], le cas de la consommation dŽfensive ghanŽenne illustre un tout autre processus. Si les fumeurs ghanŽens sont bien ŽtiquetŽs comme dŽviants par le reste de la population, ils ne produisent pas de justification de rejet des normes sociales majoritairement acceptŽes. Leur consommation est au contraire justifiŽe par le besoin de sÕinscrire dans la droite ligne de la norme qui fait du travail, et du travail dur, non seulement une nŽcessite pour survivre, mais une valeur socialement prisŽe. Pour se conformer ˆ cette valeur, il est nŽcessaire de passer outre la pression morale dŽmonisant lÕutilisation de la drogue en gŽnŽral, et du cannabis en particulier. Les consommateurs ghanŽens de cannabis sont ainsi soumis ˆ une double oppression, ˆ deux formes de violence qui, semble-t-il, sont lÕexpression de la violence de la modernitŽ. Ici, la violence de la modernitŽ se traduit par les conditions de survie dŽplorables auxquelles est soumise la majoritŽ des GhanŽens, et par la violence de la prohibition, instaurŽe au XX” sicle ˆ laquelle les consommateurs de cannabis sÕexposent en fumant. Il est ironique de constater que les agents sociaux chargŽs de la rŽpression du phŽnomne de la drogue (les policiers et les militaires) et de garantir la pŽrennitŽ du systme dÕexploitation en vigueur, sont issus des mmes groupes socio-Žconomiques que les exploitŽs quÕils sont chargŽs de rŽprimer, et quÕils doivent eux-mmes souvent avoir recours au cannabis pour accomplir leur t‰che.

NOTES

[1] LE BOT, Y.Ź: Violence de la modernitŽ en AmŽrique latine. IndianitŽ, sociŽtŽ et pouvoir, ƒditions Karthala, Paris, 1994.

[2] JÕutilise le terme de ĒphŽnomne de la drogueČ afin dÕenglober toutes les facettes de ce phŽnomne total qui touche ˆ lՎconomie, au politique, au social et au culturel.

[3] Voir, entre nombre dÕautres, BAGLEY, B. : ĒUS Foreign Policy and the War on Drugs: Analysis of Policy FailureČ, in Journal of Interamerican Studies and World Affairs, vol. 30, Nos. 2 & 3, Summer/Fall 1988; ANDREAS, P., BERTRAM, E., BLACHMAN, M. & SHARPE, K. : ĒDead-end Drug WarsČ, in Foreign Policy, No. 85, Winter 1991-1992; McCOY,A. & BLOCK, A.Ź: ĒU.S. Narcotics Policy: An Anatomy of FailureČ, in McCOY & BLOCK (eds.)Ź: War on Drugs: Studies in the Failure of U.S. Narcotics Policy, Westwiew Press, Boulder & Oxford, 1992, pp. 1-20.

[4] Cette Ēlogique budgŽtaireČ liant drogues et violences politiques sert de base ˆ une tentative dՎtablissement de la ĒgŽopolitique des droguesČ en tant que domaine spŽcifique dՎtude dans LABROUSSE, A. & KOUTOUZIS, M.Ź: ĒGŽopolitique et GŽostratŽgies des DroguesČ, Economica, Paris, 1996, en particulier pp.Ź23-35.

[5] McCOY, A. : The Politics of Heroin: CIA Complicity in the Global Drug Trade, Lawrence Hill Books, New York, 1991, pp. 127-261.

[6] DALE SCOTT, P. & MARSHALL, J. : Cocaine Politics: Drugs, Armies and the CIA in Central America, University of California Press, Berkeley and Oxford, 1991.

[7] ĒBOSNIE-HERZƒGOVINEŹ: ĒFŽdŽration de rŽseaux politicomafieux Č, in La DŽpche internationale des drogues, N”56, juin 1996 (citŽ dorŽnavant comme ĒLa DŽpcheČ).

[8] LINTNER, B. : ĒHeroin and Highland Insurgency in the Golden TriangleČ in McCOY & BLOCK (eds.), op. cit., pp. 281-318 pour une vue dÕensemble. Pour lÕun des Žpisodes les plus rŽcents du conflit birman, voir ĒBIRMANIEŹ: LÕhŽritage de Khun SaČ, in La DŽpche, N”55, mai 1997.

[9] LIFSCHULTZ, L. : ĒPakistan: The Empire of HeroinČ, in McCOY, A. & BLOCK, A. (eds.), op.cit. pp. 319-357; et McCOY, A., op. cit., pp. 436-460.

[10] ĒGuerre y privatisationsČ, in La DŽpche, N”48, octobre 1995; ĒTURQUIEŹ: la drogue dans la guerre sale Č et ĒDu PKK aux fondamentalistesČ, in ibidem, N”40, fŽvrier 1995; et ĒTURQUIEŹ: Les tentations de lÕarmŽeČ, in ibidem, N”37, novembre 1994.

[11] ĒMACEDOINEŹ: De la poudre et des balles pour la ĒGrande AlbanieČČ, in ibidem, N”32, juin1994.

[12] OGDŹ: GŽopolitique des drogues 1995, La DŽcouverte, Paris, 1995, pp. 200-208.

[13] PROLONGEAU, H.Ź: ĒVoyage ˆ lÕintŽrieur des guŽrillas colombiennesČ, in Le Monde Diplomatique, Avril 1996, pp. 8-9; pour une analyse du fonctionnement concret de lÕindustrie de la cocaïne et des plantations de pavot dans les zones contr™lŽes par las Forces armŽes rŽvolutionnaires de Colombie (FARC), voir OGD, op. cit., pp. 216-217; et OGDŹ: La drogue nouveau dŽsordre mondial, Pluriel intervention, Hachette, Paris, 1993, p. 269.

[14] EDDY, P. with SABOGAL, H. & WALDEN, S. : The Cocaine Wars, Bantam Books, New York, 1989.

[15] Sur la violence dans le nord du Mexique, voir par exempleŹ: ĒViolencia en ascenso en Tijuana y SinaloaČ, in La Jornada, 7/2/1996 (dÕaprs cet article 25 personnes ont ŽtŽ assassinŽes ˆ lÕaide dÕarmes ˆ feu dans lՃtat de Sinaloa, dont la capitale est Culiacán, en janvier 1996. Durant le mme mois, 72 personnes ont connu une mort violente ˆ Tijuana, dont 50 par balles); et ĒAsesinan a dos ex policÕas en BC y Morelos; en Juárez, otro ejecutadoČ, in ibidem, 17/5/1996 (59 assassinats ˆ Ciudad Juárez depuis le dŽbut de 1996). Sur la capture et ĒŹlÕexpulsionŹČ de GarcÕa Abrego, voir par exemple ĒGarcÕa Abrego entregado a EUČ, in ibidem, 16/1/1996Ź; sur sa carrire de trafiquant de drogues, voir ĒSe le atribuye una fortuna de 10 mil mdd, etc.Č, in ibidem. Sur ces relations avec de hauts fonctionnaires et des ministres du gouvernement de Carlos Salinas, voir ĒMEXIQUE: les narcos au sommet de lՃtatČ, in La DŽpche, N”43, mai 1995; ĒIndemne aģn, la estructura polĶtica y policiaca que volvió poderoso a GarcÕa AbregoČ, in Proceso, N”1003, 8/1/1996; et LANIEL, L.Ź: ĒPushing NAFTA? The Trafficking of Illicit Drugs and International Relations in the Americas. A Case Study of Mexican-U.S. Relations, 1988-1994Č, in The South in the Global Political Economy of Illicit Drugs, Ahmadu Bello University Press, Zaria, Nigeria, 1997.

[16] CÕest du moins ce qui ressort de la description que fait la Drug Enforcement Administration (DEA)Źdes cartels de la drogue mexicainsŹ: voir la dŽposition de Thomas Constantine, patron de la DEA, devant la Commission des Affaires Žtrangres du SŽnat en aot 1995Ź: Statement by Thomas A. Constantine, Administrator, Drug Enforcement Administration, United States Department of Justice, before the Senate Foreign Relations Committee regarding International Drug Trafficking Organizations in Mexico, Washington, D.C., August 8, 1995.

[17] Sur le sicariato et ses liens avec lÕindustrie de la cocaïne colombienne, voir entre autresŹ: CAMACHO GUIZADO, A. & GUZMÁN BARNEY, A. : Colombia: Ciudad y violencia, Ediciones Foro Nacional, Bogotá, 1990; SALÁZAR, A. & JARAMILLO, A. : Medellín: Las subculturas del narcotráfico, CINEP, SantafŽ de Bogotá, 1992; y CASTILLO, F. : Los jinetes de la cocaína, Editorial Documentos Periodísticos, Bogotá 1987.

[18] CÕest du moins lÕopinion dÕantoine BOUSTANY, exprimŽe dans son Histoire des paradis artificiels, Hachette Pluriel, Paris, 1993, pp. 101-110.

[19] ibidem, p. 178.

[20] ibidem, p. 182.

[21] Voir le chapitre 3 ĒComment on devient un fumeur de marijuanaČ in BECKER, H.S.Ź: Outsiders, ƒditions A.M. MŽtailiŽ, Paris, 1985 (1963), les citations proviennent des pages 65 et 66, respectivement.

[22] Cette rŽputation nÕest pas surfaite, mais ces ĒexportationsČ sont, aujourdÕhui en Afrique de lÕOuest, loin dՐtre lÕexclusivitŽ du Ghana. Voir ĒGHANAŹ: La C™te de lÕOr vertČ, in La DŽpche, n”46, aot 1995.

[23] BORROFICA, A.: ĒMental Illness and Indian Hemp in Lagos, NigeriaČ, in East African Medical Journal, 43, 1966, pp. 379.

[24] ĒGHANAŹ: les fŽticheurs au secours du trafic Č, in La DŽpche, n”46, aot 1995; et le chapitre sur le Ghana in OGDŹ: ƒtat des drogues, drogue des ƒtats, Pluriel Intervention, Hachette, Paris, 1994, pp. 107-108.

[25] PNDC Law 236: Narcotic Drugs (Control, Enforcement and Sanctions) Law, 1990, Part I, section 3 (1), (2), (3) et (4), section 4 (1) et (2) et section 5 (1) et (3).

[26] Citons par exemple BORROFICA, A., op.cit.; NORTEY, D.N.A. et SENAH, K.A., Epidemiological Study of Drug Abuse among the Youth in Ghana, Accra, UNESCO, 1990; y KLEIN, A.Ź: ĒTrapped in the Traffic: Growing Problems of Drug Consumption in LagosČ, in The Journal of Modern African Studies, vol. 32,Źn”4, 1994. Notons tout de mme que quelques travaux ont ŽtŽ consacrŽs ˆ la production et au trafic, comme FOTTORINO, E.Ź: La piste blancheŹ: lÕafrique sous lÕemprise de la drogue, Balland, Paris, 1991; ainsi que les chapitres consacrŽs ˆ lÕafrique dans les rapports annuels publiŽs depuis 1993 par lÕOGD en 1993, 1994 et 1995 et 1996 (voir bibliographie ci-dessous).

[27] Les guillemets se justifient car la notion de prostitution est extensible au Ghana, comme en Afrique de lÕOuest en gŽnŽral dÕailleurs. Outre les personnes, surtout des femmes bien sžr, mais aussi des hommes, vivant exclusivement de la prostitution telle quÕon la conna”t en Europe, de nombreuses jeunes personnes ne se prostituent que le week-end, ou seulement lorsquÕelles ont un besoin pressant dÕargent. Des Žtudiantes et des lycŽennes, ˆ partir de 14 ans, sÕy livrent aussi, pour payer leur inscription. Pour des tŽmoignages sur ce dernier cas, voirŹ: ĒMore Students Become Prostitutes, Parts I and IIČ, in The Student Feeler, weekending June 20 et weekending June 27, 1995, Accra.

[28] Notamment en ce qui concerne lÕidentification en tant que principaux consommateurs de groupes socioprofessionnels dont je nÕai personnellement rencontrŽ aucun membreŹ: les mineurs et les ouvriers agricoles, par exemple.

[29] BORROFICA, op. cit., p. 377.

[30] RUF, F. : Booms et crises du cacao. Les vertiges de lÕor brun, Ministre de la CoopŽration-CIRAD-Karthala, Paris, 1995.

[31] LƒONARD, E.Ź: ĒCrise des Žconomies de plantation et essor du trafic de cannabis en Afrique de lÕOuest. Une mise en perspective des cas ivoirien et ghanŽenČ, doc. dactylo., Paris, 1996.

[32] Par exemple, un voleur pris sur le fait risque le lynchage, un cambrioleur dՐtre tuŽ ou gravement blessŽ par les gardiens de la maison ĒvisitŽeČ. Au mieux, il sera arrtŽ par la police et passŽ ˆ tabac et, suivant les Žpoques, exŽcutŽ aprs son jugement.

[33] DÕaprs The World Bank Atlas 1995, Washington, 1994, p. 8.

[34] Les watchmen travaillent en gŽnŽral de 6 heures du soir ˆ 6 heures du matin et exercent souvent aussi un emploi pendant la journŽe, par exemple dans le commerce informel, ce qui provoque parfois les remontrances, voire la colre, de leurs employeurs de nuit, qui les retrouvent frŽquemment assoupis... lorsquÕils rentrent de soirŽes bien arrosŽes en bo”te de nuit.

[35] Les chauffeurs de taxi possdent rarement leur outil de travail. Ils sont employŽs par le propriŽtaire du vŽhicule quÕils conduisent sur la base dÕun contrat selon lequel ils sÕengagent chaque jour ˆ verser au ĒmasterČ, le patron, une somme fixŽe ˆ lÕavance, quÕils gagneront par les courses quÕils effectuent. Ils tirent leur salaire des courses supplŽmentaires ˆ celles permettant de payer le loyer du vŽhicule. Leurs revenus sont donc alŽatoires, et poussent ˆ travailler de longues heures. De nombreux chauffeurs de taxi ont aussi un autre emploi.

[36] The World Bank Atlas 1995, op. cit., p.18.

[37] Voir la section du chapitre 4 intitulŽe ĒmoralitŽČ in Becker, op. cit., pp. 96-102.


BIBLIOGRAPHIE

AGBODEKA, F.Ź: An Economic History of Ghana from the Earliest Times, Ghana University Press, Accra, 1992.

ANDREAS, P., BERTRAM, E., BLACHMAN, M. & SHARPE, K. : ĒDead-end Drug WarsČ, in Foreign Policy, No. 85, Winter 1991-1992.

BAGLEY, B. : ĒUS Foreign Policy and the War on Drugs: Analysis of Policy FailureČ, in Journal of Interamerican Studies and World Affairs, vol. 30, Nos. 2 & 3, Summer/Fall 1988.

BECKER, H.S.Ź: Outsiders, ƒditions A.M. MŽtailiŽ, Paris, 1985 (1963).

BORROFICA, A.Ź: ĒMental Illness and Indian Hemp in Lagos, NigeriaČ, in East African Medical Journal, 43, 1966.

BOUSTANY, A.Ź: Histoire des paradis artificiels, Pluriel Intervention, Hachette, Paris, 1993.

CAMACHO GUIZADO, A. & GUZMĒN BARNEY, A. : Colombia: Ciudad y violencia, Ediciones Foro Nacional, Bogota, 1990.

CASTILLO, F. : Los jinetes de la cocaína, Editorial Documentos Periodísticos, Bogotˆ 1987.

DALE SCOTT, P. & MARSHALL, J. : Cocaine Politics: Drugs, Armies and the CIA in Central America, University of California Press, Berkeley and Oxford, 1991.

DERRIDA, J. (entretien avec)Ź: ĒRhŽtorique de la drogueČ, in Autrement : ĒLÕesprit des drogues, la dŽpendance hors la loiŹ?Č, N” 106, avril 1989.

EDDY, P. con SABOGAL, H. & WALDEN, S. : The Cocaine Wars, Bantam Books, New York, 1989.

FOTTORINO, E.Ź: La piste blancheŹ: lÕAfrique sous lÕemprise de la drogue, Balland, Paris, 1991.

KLEIN, A.Ź: ĒTrapped in the Traffic: Growing Problems of Drug Consumption in LagosČ, in The Journal of Modern African Studies, vol. 32,Źn”4, 1994.

LABROUSSE, A. & WALLON, A. (coord.)Ź: El planeta de las drogas, Ediciones Mensajero, Colección ĒSolidaridad Norte-SurČ, Bilbao, 1994.

LABROUSSE, A. & KOUTOUZIS, M.Ź: GŽopolitique et GŽostratŽgies des Drogues, Economica, Paris, 1996.

LANIEL, L.Ź: ĒMarchŽ local de la consommation et dŽveloppement des cultures illicites de cannabis au GhanaČ, ConfŽrence Internationale La situation des drogues en Afrique sub-saharienne, UNESCO, Paris, 1er avril 1997.

- ĒPushing NAFTA? The Trafficking of Illicit Drugs and International Relations in the Americas. A Case Study of Mexican-U.S. Relations, 1988-1994Č, in The South in the Global Political Economy of Illicit Drugs, Ahmadu Bello University Press, Zaria, Nigeria, 1997.

LE BOT, Y.Ź: Violence de la modernitŽ en AmŽrique latine. IndianitŽ, sociŽtŽ et pouvoir, ƒditions Karthala, Paris, 1994.

LƒONARD, E.Ź: ĒCrise des Žconomies de plantation et essor du trafic de cannabis en Afrique de lÕOuest. Une mise en perspective des cas ivoirien et ghanŽenČ, mimeo, Paris, 1996.

- ĒCrise des agricultures paysannes et dŽveloppement des cultures illicites en zone tropicaleŹ: RŽflexions ˆ partir des cas mexicain et ivoirienČ, ConfŽrence La ruralitŽ dans les pays du sud ˆ la fin du XX” sicle, Montpellier, 1-2 avril 1996.

McCOY, A. : The Politics of Heroin: CIA Complicity in the Global Drug Trade, Lawrence Hill Books, New York, 1991 (1972).

McCOY,A. & BLOCK, A.Ź(eds.)Ź: War on Drugs: Studies in the Failure of U.S. Narcotics Policy, Westwiew Press, Boulder and Oxford, 1992.

NORTEY, D.N.A. & SENAH, K.A.Ź: Epidemiological Study of Drug Abuse among the Youth in Ghana, Accra, UNESCO, 1990.

OBSERVATOIRE GƒOPOLITIQUE DES DROGUES (OGD)Ź: Atlas mondial des drogues, Presses Universitaires de France, Paris, 1996.

Š The Geopolitics of Drugs, 1996 Edition, Northeastern University Press, Boston, 1996.

Š GŽopolitique des drogues 1995, La DŽcouverte, Paris, 1995.

Š ƒtat des drogues, drogue des ƒtats, Pluriel Intervention, Hachette, Paris, 1994.

Š La drogue nouveau dŽsordre mondial, Pluriel intervention, Hachette, Paris, 1993.

Š La DŽpche internationale des drogues, publication mensuelle dÕinformation sur la gŽopolitique mondiale des drogues, Paris.

RAY, D.Ź: Ghana: Politics, Economics and Society, Frances Pinter, London, 1986.

RIMMER, D.Ź: Staying Poor: Ghana's Political Economy, 1950-1990, Published by Pergamon Press for the World Bank, Oxford, 1992.

RUF, F. : Booms et crises du cacao. Les vertiges de lÕor brun, Ministre de la CoopŽration-CIRAD-Karthala, Paris, 1995.

SALAZAR, A. & JARAMILLO, A.Ź: Medellín: Las subculturas del narcotráfico, CINEP, SantafŽ de Bogotá, 1992.

UNITED NATIONS DEVELOPMENT PROGRAM (UNDP)Ź: GhanaÕs Efforts at Combatting Drug Abuse and Illicit Trafficking, mimeo, Accra, 1993.

WERNER, J.F.Ź: Marges, sexe et drogues ˆ Dakar. Enqute ethnographique, Karthala-ORSTOM, Paris, 1993.

haut

Ź