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Otto Reich, Secrétaire d’état adjoint pour l’hémisphère occidental

Laurent Laniel

Lorsqu’il travaillait à l’Office of Public Diplomacy du Département d’État sous l’administration Reagan, Otto Reich fut l’un des pivots des réseaux clandestins de soutien à la Contra nicaraguayenne. Constitués par le colonel Oliver North (à l’époque membre du Conseil de Sécurité nationale) avec l’aide de la CIA et de certains milieux d’extrême-droite, ces réseaux étaient parfaitement illégaux. L’adoption de l’Amendement Boland en octobre 1984 par le Congrès interdisait formellement en effet à l’Exécutif d’apporter toute aide autre qu’humanitaire aux Contras. Les élus américains ne souhaitaient pas que les États-Unis soient plus longtemps accusés de financer notamment les massacres de paysans commis par les Contras. Aussi, afin de poursuivre la guerre contre le gouvernement sandiniste, plusieurs « fronts » de la Contra, soutenus en sous-main par la CIA, facilitèrent l’acheminement de tonnes de cocaïne du Cartel de Medellín sur des bases militaires aux États-Unis. D’après un rapport du Département de la Justice rendu public sous l’administration Clinton, « plusieurs douzaines » de dirigeants de la Contra étaient impliqués dans ces réseaux. Personne ne doute que la CIA fut au courant de ces trafics, mais la version "officielle" fait valoir que l’agence de renseignement américaine ne les aurait pas dénoncés afin de ne pas mettre en péril la croisade reaganienne contre « l’empire du mal », alors communiste et localisé en Amérique centrale. En fait, de nombreux rapports officiels américains ainsi que des travaux journalistiques et universitaires ont montré que des agents de la CIA ont activement protégé, voire facilité, ces trafics. Certains spécialistes – dont l’historien américain Alfred W. McCoy, « père fondateur » de la Géopolitique des drogues – affirment même que cet accès « protégé » au marché américain a permis au Cartel de Medellín de devenir l’une des plus puissantes et des plus meurtrières narco-organisations au monde[1]. Rappelons qu’à cette époque, Bogota était déjà alliée à Washington dans la « guerre à la drogue », celle-ci étant alors menée par le vice-président (et ancien directeur de la CIA) George Bush Senior, lui aussi impliqué dans le Contragate... C’est également à cette époque que le crack et ses ravages firent leur apparition dans les ghettos noirs des villes américaines.

Otto Reich

Au milieu des années 1980, les narcos de la capitale du département d’Antioquia – berceau historique du paramilitarisme d’extrême-droite colombien[2] – se lançaient, eux aussi, dans une guerre sanglante contre un gouvernement, celui de Colombie. Le Cartel de Medellín, principal instigateur et financier des paramilitaires, se verrait bientôt taxer à bon droit de « narcoterroriste ». Mais ce qualificatif n’a jamais été appliqué aux Contras, ni à leurs « supporters » de Washington et Langley.

Le nom d’Otto Reich fut de nouveau cité dans l’affaire du coup d’État avorté contre le président vénézuélien Hugo Chávez à la mi-avril 2002. Reich connaît bien le Venezuela. En 1987, alors qu’il était ambassadeur des États-Unis à Caracas, il est suspecté d’avoir tenté, en vain, de permettre au terroriste anti-castriste Orlando Bosch d’immigrer légalement aux États-Unis. Bosch, citoyen cubain, venait d’être libéré de prison au Venezuela où il était détenu pour sa participation à l’attentat qui, le 5 octobre 1976, avait détruit en plein vol un avion de la compagnie Cubana Airlines, coûtant la vie à 73 personnes. Bosch était recherché aux États-Unis depuis 1968, date où un tribunal fédéral l’avait condamné à dix ans de prison pour un autre attentat, au bazooka celui-là, contre un cargo polonais dans le port de Miami. Libéré sous caution, il avait pris la fuite et était devenu le chef du groupe terroriste CORU – qui entretenait des liens étroits, pour ne pas dire symbiotiques, avec certains des principaux trafiquants de drogue cubains du Miami des années 1970 – responsable de plus de 50 attentats à la bombe à Cuba, aux États-Unis et dans différents autres pays de « l’Hémisphère occidental ». En 1988, alors qu’il tente d’entrer sans visa aux États-Unis, Bosch est arrêté et emprisonné en Floride. Il obtient bientôt la liberté sur parole (en juillet 1990) grâce notamment aux multiples interventions de Jeb Bush (actuel gouverneur de Floride) auprès de l’administration alors dirigée par son père, George Bush Senior... Depuis, Bosch est libre et vit à Miami.

NOTES


[1] McCoy, A. : The Politics of Heroin, Lawrence Hill, New York, 1991 (1972), pp. 479-480.

[2] L’actuel président colombien, Alvaro Uribe, homme d’extrême-droite, fut maire de Medellín au début des années 1980 puis gouverneur du département d’Antioquia au milieu des années 1990.

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