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Le Goulag amricain

ENCADR 2

Les prisons prives

Laurent Laniel

Confronts lenvole des cots et la surpopulation carcrale, lՃtat fdral, de nombreux tats et des gouvernements locaux se tournent vers des socits prives quils paient une cinquantaine de dollars par jour et par dtenu en moyenne afin dassurer en leur nom le management de la population pnitentiaire. Ces firmes correctionnelles sont particulirement bien implantes dans lOuest et, surtout, le Sud o presque toutes sont bases. En septembre 2001, leurs principaux clients taient, dans lordre: lՃtat fdral, le Texas, lOklahoma, la Gorgie et la Californie. Le recours accru de lՃtat fdral aux prisons prives est le phnomne marquant de ces dernires annes: en 2001, 12,3% des 157000 prisonniers fdraux taient dtenus dans des prisons prives, un taux deux fois suprieur la moyenne des tats. Cet appel au priv est officiellement motiv par la surpopulation du systme fdral qui fonctionne 31% au-dessus de ses capacits, malgr la construction de 45 prisons entre 1995 et 1999[1].

A leur apoge en 1999, les correctional corporations graient 145000 places dans 274 installations aux tats-Unis, soit 7% du total de la population carcrale. En 2001, leur part de march est tombe 6%. Le ralentissement carcral et divers problmes ont stopp leur fulgurante ascension.

Graphique par L. Laniel; sources: site web du Professeur C.W. Thomas

Le march amricain des prisons prives, comme le march mondial dont il constitue 85%, est une oligopole: Corrections Corporation of America (CCA) et Wackenhut Corrections, bases respectivement au Tennessee et en Floride, accaparent elles deux plus de 70% des parts des deux marchs; quatre firmes contrlent 91% du march amricain. Dans le monde, seule la britannique Group 4 parvient faire une timide concurrence aux quatre gantes amricaines.

Graphique par L. Laniel; sources: site web du Professeur C.W. Thomas

Tout lart des correctional corporations est de tirer le meilleur profit des relations public-priv. CCA a pu devenir la plus grosse firme carcrale du monde parce quelle a su attirer des capitaux privs trangers: jusquen 1999 au moins, Sodexho Alliance, multinationale franaise de la restauration institutionnelle, tait son plus gros actionnaire. Alors quau conseil dadministration de Wackenhut, dont le PDG est un ancien du FBI, on a vu dfiler le gratin de lestablishment scuritaire fdral, celui de CCA ressemble plus un annuaire de la gentry politique et financire sudiste[2]. Mais CCA entretient de bonnes relations avec Washington. Fin 2000, le BOP a sign un contrat de 760 millions de dollars sur 10 ans avec la firme de Nashville; en mai 2001, 5 contrats de plus de 50 millions de dollars chacun ont t renouvels. Les firmes, qui ne sont jamais court de louanges sur les bienfaits de la libre entreprise, ont t largement subventionnes par les tats. Une recherche publie en 2001 a rvl que 73% des 60 prisons prives tudies avaient bnfici de gnreuses subventions publiques[3].

Malgr leurs atouts, les prisons prives ont connu des dboires. Elles prtendent pouvoir grer les prisons plus efficacement et pour moins cher que le secteur public, mais des tudes officielles ont dmenti ces deux affirmations[4]. Leurs opposants faisaient valoir que la recherche du profit les conduisaient diminuer les cots de fonctionnement au pril de la scurit et que leurs ngociations avec les autorits manquaient de transparence. Un rapport du Dpartement de la Justice vint confirmer ces craintes en 1998. Motiv officiellement par lՎvasion de six dtenus dune prison CCA dans lOhio, le rapport ragissait en fait plusieurs scandales (vasions, meurtres, viols sur mineurs, conditions inhumaines de dtention) survenus depuis deux ans dans les prisons prives. Les rapporteurs affirmrent que les autorits navaient pas suffisamment fait jouer la concurrence, mal ngoci le contrat et pay un prix survalu CCA. Le rapport souligne aussi que les agents de CCA sur place ont manqu leur mission fondamentale en ce qui concerne la scurit, notant quoutre lՎvasion la prison avait t le thtre de deux homicides [...] nombreux coups de poignards, attaques contre les gardiens et les dtenus et de lomniprsence darmes dangereuses entre les mains des dtenus[5].

Les opposants sinquitaient enfin de la capacit des firmes influencer la lgislation pnale puisque leur prosprit en dpend directement: plus de dtenus purgeant des peines plus longues rapportent plus dargent. Les firmes ont toujours ni chercher influencer les lois. Mais une association a prouv le contraire en 2000 en rvlant que CCA et Wackenhut sont des donateurs importants un think tank conservateur appel American Legislative Exchange Council (ALEC) [6]. Deux cadres dirigeants de CCA y ont mme prsid un groupe de rflexion sur la justice pnale. Cette bote ides sefforce de promouvoir les projets conservateurs, notamment en matire de privatisation et de criminalit. On se fait une bonne ide de son influence lorsquon sait que 40% des snateurs et reprsentants des tats en sont membres et quALEC a milit avec succs pour ladoption de lois hyper-rpressives dans divers tats.

Tous ces dboires expliquent sans doute quaucun tat nait souhait signer de nouveaux contrats avec les correctional corporations depuis 2000. Plusieurs tats ont mme mis fin leurs relations avec elles, provoquant un plongeon de laction CCA Wall Street: de 44 dollars en 1998 18 cents en dcembre 2000. Toutefois, grce ses contrats fdraux, CCA cotait 18 dollars dbut 2002.


NOTES

[1] BJS: Prisoners in 2001, op. cit., Table 9, p.8.

[2] Depuis sa cration en 1984 par lancien prsident du Parti rpublicain du Tennessee, outre Sodexho le conseil de CCA a vu dfiler des cadres-actionnaires de Kentucky Fried Chicken, Harley-Davidson, Suntrust Bank (Nashville), et un ex-gouverneur, un ex-snateur et un ex-juge. Mieux encore chez Wackenhut Corporation, maison mre de Wackenhut Corrections, outre une ex-gouverneur et ex-dpute fdrale, une ex-secrtaire dՃtat adjointe la Dfense et ex-reprsentante des USA lONU et des ex-ambassadeurs, on a compt un ex-directeur et un ex-directeur adjoint de la CIA, un ex-directeur de la DIA (le renseignement militaire), un ex-directeur du FBI, un ex-chef du Service Secret, et un ex-ministre de la Justice...

[3] Good Jobs First: Jail Breaks: Economic Development Subsidies Given to Private Prisons, octobre 2001, p. v.

[4] Bureau of Justice Assistance: Emerging Issues on Privatized Prisons, fvrier 2001, NCJ 181249.

[5] Corrections Trustee: Report to Attorney General Janet Reno on Youngstown Prison, 25 novembre 1998.

[6] Sarabi, B. & E. Bender: The Prison Payoff: The Role of Politics & Private Prisons in the Incarceration Boom, Western Prison Project & Western States Center, novembre 2000.

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